La Mécanique de l’ombre devrait rapidement faire émerger son réalisateur Thomas Kruithof, qui se lance ici dans un premier long métrage des plus prometteurs après un court en 2013. Espionnage, contre-espionnage, réseaux politiques, surveillance, contrôle des libertés individuelles, mise sur écoute, complots, trahisons, burnout… autant de thématiques fortes pour un thriller socio-politique parfaitement ancré dans l’air du temps. Le cinéaste se réapproprie les codes et immerge son personnage dans un climat de manipulation, de paranoïa et de suspicion. Sorte de mélange entre Conversation secrète et La Taupe – plus largement le cinéma américain paranoïaque des années 1970 -, cetteMécanique de l’ombre renvoie aussi à l’ambiance des polars noirs français de la décennie 80. La mise en scène est maîtrisée, les cadres fixes, précis et travaillés, les décors épurés et impersonnels, et la texture visuelle sombre et intense. Puis les contre-plongées s’imposent, les inserts décortiquent la mécanique des faits et gestes et les regards deviennent aussi éloquents que les paroles, laconiques. La musique de Grégoire Auger, qui signe également sa première bande originale, accentue cette atmosphère anxiogène, déshumanisée et en perte de repères. Elle suit l’évolution intérieure de Duval, un individu ordinaire, routinier et solitaire qui, après un burn-out et deux ans de chômage, est contacté par un énigmatique homme d’affaires pour un emploi étrange : retranscrire méticuleusement sur une machine à écrire des écoutes téléphoniques provenant de cassettes audio. Kruithof favorise ici le terrain analogique au profit du numérique afin de resserrer davantage l’étau. Comme déconnecté du monde, Duval obéit, effectuant mécaniquement ce travail à la chaîne, sans se poser de question. Progressivement et malgré lui, sa vie bascule dans un engrenage insondable. La Mécanique de l’ombre génère dès lors un suspense palpable dans un cadre où la confiance n’est qu’illusion et où tous ces personnages calculateurs se livrent au jeu des trahisons et des manipulations. Kruithof dresse un état du monde de manière crédible et son choix de casting est des plus judicieux. François Cluzet incarne avec justesse ce fonctionnaire mutique, dépassé par les événements et désengagé politiquement, mais qui finit par réagir. La séquence d’ouverture reste sans doute la plus forte émotionnellement. Quant à Denis Podalydès, ici à contre-emploi dans la peau de cet homme mystérieux, méthodique et impassible qui l’engage, il se révèle parfaitement glaçant. La Mécanique de l’ombre évoque les grandes affaires politico-judiciaires, Snowden, l’instrumentalisation des individus et les desseins des chefs d’États, toujours prêts à asseoir leur position et à assouvir leur soif de pouvoir. Un bon thriller dédaléen à découvrir à quelques mois des présidentielles.
Une mécanique bien huilée
Pour son premier long métrage, La Mécanique de l'ombre, Thomas Kruithof (voir interview p. 16) nous entraîne dans la spirale infernale des services secrets et des réseaux politiques français