ice motherOuverture en fanfare, une des meilleures expositions du moment, riche en enjeux dramatiques comme le meilleur premier acte du meilleur théâtre : un repas dominical dans une famille de la classe moyenne tchèque. La mère et veuve préside les agapes, aux côtés de ses deux gentils crétins de fils, le raté affectueux mais un poil sournois et le vainqueur social, égoïste mais pas complètement indifférent. La matrone, sexagénaire, paraît s’ennuyer ferme, n’en avoir plus rien à faire des imbéciles rivalités fraternelles, des commentaires hypocrites de ses brus, du déroulé attendu, programmatique de l’éternel repas de fête comme on en a trop soupé au cinéma et au théâtre. Avec nous, elle s’ennuie. Et c’est l’une des premières forces du réalisateur : nous faire ressentir un peu de cette maussaderie, ne pas en atténuer la force qui dévitalise. Mais soudain, quelque chose amuse Hana contre toute attente. Son regard se met à pétiller, l’oblige à se lever de tables, à laisser ses convives se disputer : il fait froid et le chauffage ne marche pas. Les imbéciles s’inquiètent. Hana s’active. La maison est glaciale. Il va donc falloir couper court au rituel du repas, se lever, remettre du bois, vérifier les installations, discuter de demain, de sa vie ici ou si elle devrait partir vivre chez l’un de ses enfants. En quelques plans, en déroutant un peu le scénario attendu du psychodrame familial attablé, Bohdan Sláma pose les enjeux de son film : la manière dont le froid réchauffe moins les coeurs – nous ne sommes pas dans une bluette, mais dont il active le sang et redonne de  l’intelligence à cette femme comme au cinéma. Hana va sortir de son territoire, s’envoyer en l’air et faire table rase du quotidien, d’une société, d’une famille qui, avec ses petites guerres fratricides, l’étouffe à petit feu à force de bienveillance affectée.

Pour ce faire, le cinéaste filme Hana dans une communauté, inédite à l’écran, de baigneurs passant l’ hiver à s’ébrouer dans des eaux quasi gelées, sous des températures telles que celles décrites dans les récits de Jean Malaurie. Le froid est partout présent à l’écran. Jamais Slama ne s’en prémunit, ne réchauffe l’image par des couleurs chaudes ou des lumières orangées. L’écran gèle sous un ciel uniformément gris. Dans l’eau, il y a ceux qui s’ébattent pour oublier et vite se réchauffer, d’autres qui ne s’agitent pas pour pouvoir ressentir le froid. Rarement a-t-on fait du froid un élément autre qu’un décor ou une toile sur laquelle poser une action. Ici, c’est un personnage et chacun compose avec, en parle, en discute. Le froid agit. Entre théâtre et documentaire, le cinéaste nous donne à voir de l’intérieur un trésor tchèque ignoré : une communauté sans codes sociaux. Avec leurs maillots, réduits à leur plus simple élément, il n’y a plus de distinction sociale. Au fur et à mesure qu’on les suit avec Hana, à mesure que se déroule sa belle histoire d’amour et de sexe, on ne s’interroge même plus. On connaissait les utopies new age aux abords des temples précolombiens, les communautés hippies des plages et déserts californiens mais, pauvres de nous, on ne savait pas que nous avions une vraie mythologie avec laquelle notre imaginaire devra désormais composer : le peuple des eaux glacées de l’Elbe.