Présumé mort sur le front, Samir (Rodrigue Sleiman), un ancien milicien libanais, réapparaît un beau jour dans la vie de son frère cadet Omar (Raed Yassin). C’est autour de ce retour, de cette « résurrection », que tournera l’intrigue minimaliste de Tombé du ciel, premier long-métrage de fiction de Wissam Charaf. Autour, plus exactement, de la possibilité d’y croire. Car si la surprise d’Omar est compréhensible, Samir ne semble pas mieux comprendre ce qui lui est arrivé durant ses vingt ans de disparition. On suit donc les deux frères, une fois passé le cap des retrouvailles, s’adaptant au jour le jour à cette cohabitation inattendue. Sorties dans Beyrouth pour redonner apparence humaine à Samir, lui trouver du boulot, dialogues de sourd – souvent très drôles – avec leur père atteint d’Alzheimer, concours de démontage et remontage de pistolet – tel est le quotidien des deux frères retrouvés.
Ses courts-métrages (dont l’excellent Après, Prix du jury presse au dernier festival Côté court de Pantin) l’ont montré, le cinéma de Wissam Charaf est porté par une colère en sourdine, sous cloche, une fureur notable dans chaque plan mais comme retenue in extremis. La mémoire de la guerre civile, de ses répercussions dans le quotidien des Libanais, aussi bien ceux qui l’ont vécue que leurs enfants, hante ses films. En réapparaissant, comme tombé du ciel, dans la vie de son père qui ne le reconnaît pas et de son jeune frère, Samir fait moins office de fantôme que de révélateur d’une société en déroute depuis longtemps. Il n’est alors pas surprenant qu’Omar, homme supposé maintenir l’ordre (il est garde du corps), finisse pas perdre toute inhibition.
Ce dernier a notamment des vues sur Yasmin (la magnifique Yumna Marwan, découverte l’an passé dans La Vallée de Ghassan Salhab), une jeune chanteuse à qui il sauva la vie lors d’un attentat dont elle était la cible directe. Jusqu’ici assez loquace, Omar perd provisoirement la parole. Mais il se voit surtout offrir par sa belle, en guise de remerciement, un lance-roquettes – ce qui n’a rien de particulièrement romantique… C’est bien sûr pathétique, mais aussi très drôle, comme à peu près toutes les scènes du film, surtout les plus violentes. La colère dont nous parlions, celle du cinéma de Charaf, gagne en effet à être sans cesse contrebalancée par un burlesque tranquille, voisin de celui d’un Kaurismäki ou d’un Elia Suleiman. Si les personnages n’ont aucun humour, le cinéaste, lui, en a à revendre.
Wissam Charaf, fidèle à son esprit anarchique, se refuse à arrondir les angles en offrant une fin heureuse à son récit. Mais même lorsqu’il va au bout de sa cruauté, il ne fait aucun doute qu’il refuse de voir Samir et Omar comme des êtres qui se contentent de subir la violence de la société, l’époque,qui seraient les produits d’un insurmontable déterminisme. L’un et l’autre, incarnés par des acteurs au charisme singulier, à défaut d’accomplissement professionnel ou amoureux, auront été de formidables antihéros. Et la fin ouverte implique qu’il reste à leur écrire de nouvelles histoires.