la madreA 14 ans, Miguel est déjà un petit homme. Sa « madre », paumée, est incapable de s’occuper de leur modeste foyer : au gamin, donc, à la sortie du collège, de se débrouiller pour trouver de quoi vivre. Le film le montre acceptant le sandwich d’un camarade, vendant des mouchoirs à des automobilistes, achetant deux-trois bricoles dans une épicerie avec ses quelques sous gagnés, tout en volant ce qu’il peut. Cette histoire d’enfant sauvage, si elle n’est pas neuve (elle fut notamment traitée il y a deux ans dans le beau et méconnu Jack d’Edward Berger) a le mérite de documenter avec peu de mots, avant tout par les actes, le quotidien de la misère.Mais ce point de départ, très « chronique sociale », ne reste pourtant pas dans l’ornière d’un genre bien balisé. Certes, les services sociaux, contactés par une prof et à qui Miguel a déjà eu affaire, sonnent à la porte de l’appartement. Mais mère et enfant feignent l’absence, refusent d’ouvrir, dans l’un des rares moments laissant entrevoir entre eux un semblant de complicité. La “madre” conseille au fils de quitter le quartier pour quelque temps et de rejoindre Bogdan, un ancien amant roumain, à l’autre bout de la ville. Cette fuite, le fait même de voir l’adolescent tourner le dos à sa vie de collégien, donne au film une dimension discrètement tragique, poignante alors même qu’il refuse tout pathos. Car le film est d’abord une odyssée existentielle plus qu’un énième constat tire-larmes sur l’enfance ballottée: il s’agit de montrer comment, à chaque étape d’une vie, les rôles qu’on endosse, les fonctions qu’on assume, sont dépendants des circonstances, et non d’un “caractère” ou d’on ne sait quelle “personnalité”.

Voici par exemple la plus belle scène du film, soit la rencontre de Miguel, arrivé chez Bogdan, avec Maria, gérante d’un bar-tabac, et figure maternelle idéale de substitution, rassurante, maîtresse de sa vie. Bogdan et son fils Andreï accueillent Miguel à contrecoeur, mais Maria parvient à établir avec Miguel un semblant de rapport filial. Habitué chez lui à jouer le rôle du père, il retrouve en présence de Maria la place de l’enfant. Ne pas conclure pour autant à un salut pour notre petit héros. Le film le renvoie, moins par complaisance que volonté de réalisme, à sa situation précaire. La cohabitation avec les deux hommes devient impossible, le retour chez la “madre”, la vraie si l’on ose dire, est inéluctable. Ce sera l’ultime épreuve qui le poussera à adopter in fine la solution qu’il fuyait au départ : les services sociaux et l’aide à l’enfance. Ce n’est pas une leçon de bonne conduite que nous donne Alberto Morais, le film demeurant jusqu’au bout plein de zones d’ombre. Un film tout sauf édifiant. Mais sans pessimisme ni misérabilisme. Car Miguel ne subit pas simplement son malheur, en victime, mais compose aussi avec, s’inventant, se réinventant, à chaque coup.