bricksIl existe plusieurs acceptions du mot brique : un élément de construction de forme généralement rectangulaire ; un emballage ; une famille de fromages français et un million de nouveaux francs. En espagnol, la brique, c’est le « ladrillo ». Au sens propre, ce terme désigne un bloc de pierres dont sont constitués la majorité des immeubles en Espagne. Mais au sens figuré, il dénonce le système politico financier à l’origine de la spéculation, de la crise de 2008 et donc des bouleversements économiques d’un pays qui compte aujourd’hui 19% de chômeurs. Enfin, les briques ce sont aussi ces dossiers qu’envoient les banques avant les avis d’expulsion. En donnant le titre de Briques à son premier film, le chercheur au CNRS et sociologue, spécialiste des « marchandises à risques », Quentin Ravelli montre bien quel est le centre de son vaste documentaire : la brique comme témoin de la crise financière ibérique. La brique est l’héroïne de son film. C’est en la suivant au corps, comme on suit un personnage chez les Dardenne, que le jeune documentariste tente à la fois de nous faire comprendre la crise que traverse l’Espagne mais aussi les poches de résistance nées de cette crise. Comme dans toute bonne histoire chorale, la brique est entourée de personnages secondaires importants tels le maire d’une ville fantôme construite dans les années 2000 en Castille, près de Madrid et qui tente de reconstruire sa cité et une mère équatorienne qui lutte contre pour ne pas être expulsée, grâce au soutien d’un mouvement social.

Entre chaque histoire, la brique sert de lien, de passeur de l’une à l’autre. Il faut d’abord noter la richesse romanesque du film : la lutte ravageuse de l’Equatorienne Blanca, de son époux et de leurs enfants, les aléas de leur longue bataille aux côtés de la Plateforme des Victimes du Crédit. L’histoire surtout du maire de Valdeluz en lutte contre ses administrés (séance hallucinante de conseil municipal que l’on croirait sortie d’une comédie politique, entre Don Camillo et Sidney Lumet), la fatalité, les institutions. Ravelli a le sens du drame : Valdeluz est un incroyable décor de science-fiction. Cette ville construite pendant les années de spéculation immobilière, vide mais encore vivace, accablée de chaleur comme les nouvelles bâtisses d’un western futuriste. Mais il y a surtout cette star ô combien photogénique, la brique, elle-même donc, filmée sous toutes ses coutures, et souvent au plus près comme on auréolait jadis l’étoile hollywoodienne d’un gros plan et d’une lumière en douche. La brique star dont on suit la fabrication fascinante sous toutes les échelles de plan, de la naissance de la couleur rouge cinégique et de toutes ses transformations. Mais la brique aussi dont on découvre le destin tragique : sa façon d’essayer de survivre en se vendant au meilleur prix et au plus offrant comme une fille de joie. Et l’on assiste à sa mort, banale et donc terrible comme pour tout personnage de mélodrame, où elle finit jetée parmi des millions d’autres qui n’ont jamais servies. Image terrifiante, dans ce film qui en comporte tant, de la surproduction.