beijing storiesCeux qui ont tendance à tout étiqueter appelleront ça un film choral : trois histoires, trois générations, trois destins émergeant de la multitude pékinoise. Ce serait réducteur, comme de dire que Short Cuts  est juste un récit à multiples destins. Beijing Stories  est un film-mégalopole, mouvant et grouillant comme Pékin aujourd’hui. Avec ce premier long métrage, le cinéaste Pengfei cherche à dresser le portrait-robot d’une ville surhumaine, où cherchent à se loger et à s’entasser vingt-cinq millions d’âmes. Parmi elles, la ravissante Yun qui danse et s’ennuie dans un strip bar sordide. Son ami Yong Le revend des objets trouvés dans les décombres de maisons détruites. Quant à Lao Jin et à sa femme, ils survivent dans un vieux quartier en train d’être rasé par des promoteurs immobiliers désireux de construire à la place de nouveaux habitats pour les classes moyennes. Les héros de Beijing Stories  sont des survivants d’un Pékin moribond en train de disparaître sous les décombres : Yun et Yong Le habitent la ville souterraine, dans les sous-sols décatis de Pékin, jadis construits sous Mao. Lao Jin et son épouse élèvent des poules tout en rêvant à une retraite tranquille dans un nouvel habitat moderne, riche en espaces verts. Les trois destins se mêlent à mesure que la ville s’agrandit, se modernise et recouvre l’ancienne. Yun vient en aide à Yong Le qui perd la vue suite à un accident. Le couple est incapable de rembourser ses frais après avoir été volé par ses anciens employeurs. Pengfei trouve l’équilibre entre données documentaires et fiction. Il embrasse un nombre incalculable de facteurs pour montrer de quelle manière une ville se construit sur une autre : spéculation, diversité des habitats, choc des classes sociales, indifférence des compagnies pour les habitants, construction et relogement où les moins scrupuleux cherchent à s’enrichir au plus vite. Le travail fictionnel est tout aussi riche. Malgré les choix réalistes du film, il tient à la fois du mélodrame chinois ancien et du mythe. Devenu aveugle, Yong Le est un Thésée moderne qui cherche un chemin pour évoluer et survivre dans ce dédale bétonné des bas-fonds. Yun, une amazone dont les seules armes sont la douceur et la lucidité. Le couple vieillit, devient des morts en sursis, zombies envoyés au tombeau avant l’heure, déconnectés d’un monde qui ne veut plus d’eux. Tandis que le drame évolue, la nouvelle ville semble prendre vie, tel un Léviathan dévorant leur monde : Pékin se transforme en ville champignon comme dans les romans de Jack London. Une ville monstrueuse et aveugle, attirant à elle des aventuriers téméraires, chercheurs d’or modernes en col blanc. Mais au lieu de s’en tenir à ce simple programme – réalisme et symbolisme dramaturgique –, Pengfei parvient à embrasser une forme de totalité et à rendre hommage à tous les enterrés vivants de l’Histoire, à tout ce qui survit à l’ensevelissement. Et ce par petites touches impressionnistes, filmées dans de très longs plans : un drôle de hibou, une tortue, des volailles, un feu d’artifice au-dessus des logements, le ridicule d’un strip-tease et puis, surtout, l’opéra de Pékin. Tel un choeur grec, les chanteurs scandent le destin tragique de ceux que la ville fait disparaître sous des coulées de béton. On attend avec impatience la suite de ce jeune cinéaste.