3 jours«Je suis une femme malheureuse de quarante-deux ans, saoule, exploitée par les charognards de la presse. » Lucidité impitoyable, cruauté de la conscience qui se met à nu, sans anesthésiant. Elle n’est pas dupe, Romy Schneider, lorsqu’en 1981, retirée dans un établissement de cure à Quiberon, elle accorde une interview-fleuve à un journaliste de Stern, Michael Jürgs, sous l’oeil énamouré et tendrement paternel du photographe Robert Lebeck, vieil ami, pas amant, mais bien épris. Elle n’est pas dupe, Romy, mais, pour autant, elle reste sourde à la colère indignée de son amie autrichienne, Hilde, qui l’exhorte à cesser de se prêter au petit jeu de Jürgs, aux questions brutales, intimes, impudiques, dont il l’assaille. Paradoxe de la star : elle est un jouet consentant, sait qu’elle n’est qu’un pantin, parfois pathétique, mais elle continue à laisser les marionnettistes médiatiques tirer les ficelles. 3 Jours à Quiberon n’est ni un biopic, ni, malgré son noir et blanc ripoliné, un coffee table book sur grand écran. C’est le mode d’existence, le statut ontologique de la star qui préoccupe Emily Atef. Un statut tremblant, mal saisissable, entre le plein et le vide. Entre, par exemple, cette pleine conscience de soi et de sa place dans les petits jeux manipulateurs de la presse, et le parti pris de céder à ces derniers, de renoncer à sa vie privée, comme une négation de soi, pour satisfaire les démangeaisons sensationnalistes des lecteurs.

Et il y a de quoi les aviver, ces démangeaisons, dans la vie de Romy. Les entretiens successifs menés dans la chambre d’hôtel déballent les tumultes et les douleurs d’une vie de cahots : la relation avec Delon, la mère, qui « m’a aimée à sa manière », mais n’avait guère de scrupules à profiter de la célébrité de sa fille, le suicide de son premier mari, Harry Meyen, ce fils, David, dont elle se sent si loin. Et, surtout, ce rôle de Sissi qui l’a phagocytée, engloutie, moins un rôle qu’une seconde peau, une identité artificielle qu’on lui plaque dessus. Plénitude et absence, là encore. Romy, via l’actrice Marie Bäumer, est magnifiquement présente à l’écran : gestes, visage, corps, elle est incarnée, littéralement. Mais, pour l’immense majorité de ses fans, elle est invisible. Vampirisée par cette Sissi qui l’efface, et la force à marteler, au journaliste, qu’elle n’est pas l’impératrice d’Autriche. 

Une dialectique existentielle du plein et du vide qui est une question de vie et de mort. Car Romy est pleine d’une vitalité bouillonnante, elle est une créature dionysiaque : superbe scène avec Hilde, Jürgs et Lebeck, dans un café où a lieu une soirée de mariage. Avec son foulard, ses verres de champagne, et la chaleur souriante de son visage, Romy devient le point nodal, le coeur battant de la fête. Un poète s’attable avec eux et récite, il y a de la musique, de la danse, de l’alcool. Mais l’alcool, c’est aussi le triste compagnon des cachets de somnifère qu’elle absorbe régulièrement : le poison, l’aliment de quelque chose qui ressemble à une entreprise d’autodestruction. D’effacement de soi, qu’on dira dépression, pulsions suicidaires, qu’importe. Romy est à l’image de cet hôtel de Quiberon : au bord de la mer, source de toute vie, mais propice aussi à tous les naufrages.