jeune femmeLes maquisards de l’empire du scénario célébreront, de Jeune femme, l’argument ténu et la dramaturgie plate. Jetée par le photographe avec qui elle a vécu dix ans et qui l’entretenait, Paula se retrouve à la rue et se démerde comme elle peut, voilà toute l’histoire. Et si quelques lieux communs scénaristiques finissent par forcer la porte du film – grossesse, retrouvailles avec une mère, retour non concluant du compagnon, avortement -, ils ne rhabillent pas cette trame nue comme un ver. En le clochardisant, Léonore Serraille fait le vide autour de son personnage (plus d’amant, presque pas de parents, pas d’amis, pas de collègues-) et de l’actrice qui l’incarne. Le drolatique monologue face caméra qui ouvre le film – après un premier plan génialement bref de supplication à la porte du lâcheur – frontalise le dispositif implicite de l’ensemble : un tête-à-tête entre la cinéaste et son actrice. Entre Léonore et Laetitia (Dosch). Entre filles? On apprend après la projection que Serraille a constitué, plus ou moins volontairement, une équipe de tournage exclusivement féminine. On avait noté auparavant la longue invisibilité de l’amant, et son antipathie radicale quand il apparaît (parce qu’il a besoin d’une compagne-accessoire pour embellir le vernissage de son expo?). Puis réalisé à mi-film que Paula ne rencontre que des femmes, lesbienne comprise, l’exception constituée par le vigile noir du grand magasin où Paola a trouvé une place ne faisant qu’accréditer la piste d’un putsch contre le majoritaire. Jeune femme, qui porte bien son nom, se veut une enclave soustraite à l’homme dominant. Et d’abord soustraite à son regard – le « male gaze » rendu fameux par la dernière Mostra. A son photographe d’ex, Paula dira qu’il n’a pas su la saisir. Qu’il n’y a pas d’amour dans les photos qu’il a prises d’elle. A quoi le film oppose, en le systématisant, un regard de femme sur une femme.

En pull ou à poil

Ca veut dire quoi cette connerie? Ca veut dire d’abord que Laetitia Dosch n’est maquillée que les rares fois (entretien d’embauche) où le scénario l’impose, et beaucoup moins apprêtée que ce qu’exigerait une restitution réaliste d’une vie sans toit. Elle alterne entre pulls informes et manteau carotte anti-glamour. Pas coquette du tout. Libérée de la sourde injonction à se parer d’attributs dits féminins – d’où la savoureuse ironie du « bar à culottes » où elle manipule le type même de sous-vêtements qu’elle ne porte pas. Ce sera en pull ou à poil. Ce sera à prendre ou à laisser. Le geste féministe n’est pas moins charnel que théorique : imposer pendant 1h37 une actrice scrupuleusement enlaidie, jamais séductrice, jamais séduisante. Eu égard aux canons érotiques en vigueur, dont le cinéma n’est pas le moindre colporteur, ce geste est un pari, et ce pari est un risque.

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