TEMPS des revesVieux réflexe critique. Qui dit « temps des rêves » ajoute de façon pavlovienne : « temps des désillusions ». Celles au centre du nouveau film d’Andreas Dresen (réalisateur du magnifique Septième ciel ) concernent la chute du Mur. Mômes de l’ex-RDA, les gamins réunis à Lepizig autour de la figure de Dani (Pitbul, Starlet, Marc, Paul, Rico) ne croient pas un seul instant à la réunification. Délaissés, s’ils chahutent, picolent, tabassent des nazillons, dorment presque chaque soir au commissariat, c’est pour foncer tête baissée dans la tourmente d’un monde mort-né avant de devenir vieux et fatigué. L’ouverture à l’Ouest, ils s’en foutent et en profitent plutôt pour faire encore plus les cons, picoler sans soif, tout casser, baiser et consommer un peu n’importe quoi, un peu n’importe comment. Dresen dépeint donc cette Allemagne du début des années quatrevingt- dix comme un univers entre deux eaux troubles, dans des lumières verdâtres, baignées de crépuscules d’hiver et d’aubes brumeuses. Avec son scénariste Wolfgang Kohlhaase, Dresen adapte un célèbre roman populaire de Clemens Meyer (Quand on rêvait ) en choisissant de raconter cette histoire de jeunesse sacrifiée à la façon d’un western moderne et hystérique, mais totalement déboussolé et, en fin de compte, surprenant. Les héros du Temps des rêves  font à la fois figure de pionniers (du clubbing), de brigands de grand chemin, de hobos  empressés et de justiciers capables de secourir femme battue ou ami paumé. Gueules défoncées, trognes en épingles, yeux hagards, voix haut perchées, ces cowboys unis de la réunification écument, rasent le bitume, fument, draguent, forniquent et castagnent sans réfléchir. Ces anciens enfants de la RDA entrent dans des bars miteux comme des desperados, insultent et provoquent en duel les groupes autour d’eux et partent sans payer, en courant et en hurlant sur une bande-son électro fabuleuse. Enfin une BO qui nous change des éternels standards soul et rock de tous les autres films sur l’adolescence. Bonheur d’entendre Jeff Mills, GBH, Josh Wink, Moderat. Mais si ce n’était que ça, une façon de raconter la réunification comme l’ouverture vers une terre promise avec de l’électro plutôt que du rock, Le Temps des rêves  paraîtrait plus malin – voire opportuniste – qu’audacieux. Dresen pervertit donc les données. « L’Ouest » promis se situe à l’Est. Le paradis à construire, la terre promise de ces pionniers, ce n’est pas l’ex-RFA, mais bien l’ex-RDA. C’est à l’Est que l’un d’entre eux tombe amoureux, c’est à l’Est qu’ils habitent les anciens logements délaissés pour hanter les nuits berlinoises. C’est de là d’où partent, reviennent puis meurent leurs rêves de musique électronique et de raves. Dans ce désordre géographique, musical et finalement mental, certains trouveront leur voie, d’autres non. Dresen ne sacrifie jamais à l’esprit du conte ou de la morale. Ici, l’espérance soudaine est toujours mâtinée de doute, de tristesse et surtout de colère. La colère d’avoir tout perdu, trop vite. C’est peutêtre pourquoi on a un peu trop parlé de Trainspotting  à propos de ce film, en confondant l’énergie brouillonne et la hargne. C’est pourtant cette dernière qui nourrit Le Temps des rêves . Plutôt qu’au superficiel et clinquant Danny Boyle, Dresen fait songer ici à l’autre grand British  des années quatre-vingt-dix : le colérique et classique Ken Loach.