Il y aurait lieu de décapiter cette reine sans autre forme de procès. Tout f leure bon ici la pose et la prétention des ridicules du temps jadis : à commencer par cette imagerie arty, sortie d’une école de cinéma. Dans un geste maniériste radical, Alex Ross Perry reproduit une texture d’image délavée et un montage tantôt brutal, tantôt onctueux (riche de nombreux fondus enchaînés) à la façon de certains films des années soixante-dix. Perry copie à l’image près des références égrenées plan après plan. On y trouve pêle-mêle le Polanski de Répulsion, le Allen de Intérieurs (pas ce qu’il a fait de mieux !), le Fassbinder de Martha et surtout le Bergman de Persona. Ancien employé de vidéo club, Alex Ross Perry semble passer en revue tout le cinéma qu’il affectionne. Pour le fond littéraire, il cite rien moins que Thomas Pynchon, Philip Roth et William Gaddis.
Soit le séjour au bord d’un lac de deux copines d’enfance. Suite à une rupture et au décès de son père, Catherine (impressionnante Elisabeth Moss, transfuge de Mad Men) est au bord de la dépression. Virginia (sublime Katherine Waterston, égérie du Inherent Vice de P. T. Anderson) est décidée à l’aider à se reprendre en main. Mais un garçon, fortement attiré par Virginia, complique les choses. Et à mesure que la semaine s’écoule, Catherine perd de plus en plus les pédales et s’abîme dans la paranoïa. La belle idée de Queen of Earth, qui rend ce film finalement savoureux, est d’avoir voulu montrer la plus ancienne des amitiés à la manière d’une histoire d’amour passionnelle. Il y a autant de jalousie entre ces deux vieilles complices que dans un jeune couple brûlant de désir. Perry s’immisce dans les entrailles d’un très ancien compagnonnage. Derrière les sourires de guingois, la bienveillance affectée de Virginia, derrière l’imagerie douce d’un film pastoral, la violence est partout. Les plans sur le lac paisible se révèlent trompeurs. Le lettrage caressant les intertitres indiquant chaque nouvelle journée, un compte à rebours vers l’horreur et la démence. À mesure que la langueur estivale s’écoule dans l’univers confiné d’une résidence de villégiature, la monstruosité de leur vieille amitié s’imprime à même le visage de plus en plus tuméfié et inquiétant de Catherine. Si bien qu’en fin de compte, le maniérisme de Perry révèle la fausseté de leur relation. Se connaissant par coeur, en miroir l’une de l’autre, Catherine et Virginia voient l’affectation et le mensonge de chacune de leurs attitudes en société. Dans Queen of Earth, comme dans le cinéma d’un Brian De Palma, il faut se méfier de chaque image, telle cette interminable scène bavarde où les deux camarades se confient sur leurs désillusions et leurs amours trahies. C’est en fait une séquence d’amour et de meurtre où les confidences ont remplacé les caresses mais où chaque mot permettra à l’autre de ridiculiser sa compagne devant son amant. Queen of Earth est un film qui avance masqué : une histoire de haine non assumée, un mélo en forme de film d’horreur. D’ailleurs, Perry se révélerait moins un formaliste qu’un entomologiste froid et cynique de la nature humaine si dans un ultime geste trompeur, il ne dissimulait sous l’apparence horrifique de son final une déchirante et tragique déclaration d’amitié.