atelierL‘atelier qui vertèbre L’Atelier n’existe pas. Ou alors il nous a échappé que parmi les stages proposés par les missions locales figuraient des ateliers d’écriture animés par des écrivains (ici, Olivia). Mais de toute façon Cantet ne s’échine pas à donner à son dispositif une assise réaliste. L’atelier est un dispositif, précisément. Une invention scénaristique pour agréger des jeunes de La Ciotat et les portraiturer.

Or les jeunes en question ne sont pas portraiturés. De Boubacar et consorts on ne saura ni ce qui les a amenés là, ni ce qu’ils en attendent, ni surtout rien de leur situation professionnelle ou familiale. Malika est petite-fille d’un Algérien venu travailler à La Ciotat, apprend-on incidemment. Vache maigre. Parmi eux seul Antoine, le petit blanc raciste, intéresse Cantet.

Or bis : l’intrusion dans le quotidien d’Antoine, dans ses baignades solitaires, dans sa chambre (jeux vidéo, rap), dans ses soirées entre potes (jeux vidéo, rap) ne révèle rien non plus de sa situation sociale (chômeur? lycéen démissionnaire?) ni de celle de ses parents à peine entrevus. Lorsque Olivia interviewe Antoine pour son roman, scène qui évidemment vaut mise en abyme de la méthode Cantet -partir de témoignages-, il est notable qu’elle ne pose aucune question de cette nature. Au diapason, Antoine clame qu’il n’a rien à voir avec l’histoire des chantiers dont la fermeture a déglingué la ville, et sur ce point Cantet le suit, qui, après quelques réminiscences documentées de la grande époque ouvrière, abandonne cette piste causale.

Voici Antoine abstrait de son contexte, vierge de conditionnements, et pareille abstraction ne surprendra que ceux qui pensent que Cantet est le cinéaste politique qu’il n’est pas. La dissection du racisme d’Antoine aboutit à un verdict d’ordre bien plutôt psychologique, livré par le texte final de l’intéressé : l’ennui. Antoine s’ennuie, et le racisme n’est qu’une des diversions que se donne son corps trépignant qu’il expose, entretient, gaine – l’auto-érotisme comme pis-aller d’un désir sans débouché.

Cela se défend, et cela soulage des grossières causalités – il est chômeur DONC il regarde des vidéos de Soral (Borel, ici) -, mais une nouvelle fois on veut approcher le racisme sans oser y toucher, on le repère pour aussitôt le nier, puisqu’il n’est qu’un symptôme. Faut-il lier cette pudeur de gazelle à l’incapacité de la fiction française à assumer l’antipathie d’un personnage principal? Antoine dit que tirer sur un arabe, un juif, ou un blanc lui est indifférent au regard de son envie de tuer pour tuer, pour tuer l’ennui. En somme le raciste n’est pas raciste. C’est donc qu’il n’est pas si méchant. Qu’il est sauvable.

Car il s’agit bien de le sauver. D’où l’atelier, qui après tout ne s’imposait pas pour observer Antoine. D’où la médiation – entre nous et lui – de Marina Foïs. Le sauver, c’est-à-dire le récupérer. Le réintégrer à l’humanité pas déviante. A notre communauté.

Dans le dernier plan, le social fait retour de la pire des manières : Antoine bosse sur un bateau de pêche, visiblement allègre, réconcilié. Il ne lui manquait donc qu’un boulot pour tromper l’ennui et dissiper son malaise ? Cantet nous avait habitué à plus de scepticisme quant à une pareille résilience. C’était la belle fin de L’Emploi du temps, où le retour au travail du héros licencié était baigné de mélancolie. Peut-être que les temps ont changé ; que des peurs nouvelles font désirer, non plus des échappées, mais des retours au bercail…

Dans ce cadre il ne peut s’envisager qu’Antoine ait, pour une part, raison. Que sa rage, son envie d’en découdre soient mieux qu’une fausse route. Antoine, cela n’est pas discutable, s’égare. Ses mots, assurément, dépassent ses envies. Antoine est perdu – jusqu’à la virée finale avec Olivia, où lui-même ne sait pas bien ce qu’il va faire de son arme et finit par shooter la lune. Jamais il n’est fait droit à l’hypothèse que cette énergie négative recèle une justesse. A un moment de l’interview qui en fait a vite tourné à l’inquisition morale, Antoine englobe Olivia dans un « les gens comme vous ». Elle : c’est qui les gens comme moi? Lui : vous savez très bien. Elle : non je ne sais pas. Dommage que l’échange s’arrête là. On eût aimé que pour une fois l’examen se porte sur l’écrivaine. On eût aimé percer ce qu’une femme comme elle peut avoir de détestable pour un type comme Antoine. Oui l’échange s’arrête juste avant le moment où le jeu aurait pu se troubler, les points de vue permuter, les pronoms personnels se déplacer : non plus elle mandatée par nous auprès de lui pour l’approcher en sécurité, mais elle vue par nous à travers son prisme à lui. Elle, et les gens comme elle, lettrés des grandes villes, parfois payés pour s’offrir la joie de transmettre ce qu’ils savent sans jamais envisager la réciproque. La réciproque ne surviendra pas. L’Atelier ne reporte jamais son enquête sur l’accoucheuse d’âmes. Jusqu’au bout Olivia incarne le neutre, le neutre de notre universel à nous. Olivia n’est pas problématique. C’est Antoine qui l’est. Antoine est un cas. Il est l’autre. L’autre inquiétant à ramener dans le droit chemin, le nôtre.