Ouverture en fanfare. Géniale. Inespérée. Telle qu’on n’osait plus en rêver. Par un mouvement de grue ascendant, vers les cieux de Hollywood, que nous n’avions plus vu depuis les grands films musicaux en Technicolor des années 60, Damien Chazelle nous fait découvrir un embouteillage à Los Angeles. Soudain, une femme sort de son véhicule, monte dessus et se met à chanter et à danser, bientôt rejointe par tous les autres automobilistes. Le projet du réalisateur du déjà formidable Whiplash semble à priori limpide comme un vieux classique de l’Âge d’or : faire décoller le cinéma hollywoodien si plombé ces derniers temps, lui redonner la légèreté, la vélocité et la fluidité joyeuse des comédies musicales d’antan, celles de Vincente Minnelli (Un Américain à Paris, Tous en scène) et de Stanley Donen (Chantons sous la pluie). Films qui sont explicitement cités ici, notamment dans l’épilogue quand Chazelle organise un spectacle musical sur fond de toiles peintes et de décors bariolés, peu naturalistes. Pour réussir son projet de réanimation d’un genre moribond, Chazelle emprunte moins au rock, voire au hip-hop attendu qu’à une musique hors des modes : le jazz vocal des années 60 grâce à une BO classieuse dont le morceau-titre rappelle les plus beaux standards West Coast. Au cours de sa première partie, le film tient cette promesse haut la main. Dans des robes chatoyantes et colorées, Emma Stone virevolte dans les rues, raconte ses amours à ses copines en chansons. Mais alors que le film avait retrouvé la souplesse si souriante de ses références, Chazelle brouille soudain les cartes. Il met en scène une bluette au préalable aimable comme un roman photo ou un Harlequin mais qui devient vite triste comme une balade blues susurrée par Chet Baker. Les deux amants (campés par le couple le plus beau, le plus glamour et sexy qui soit : Emma Stone avec ses grands yeux expressifs et Ryan Gosling, digne et sobre) se rencontrent, s’aiment éperdument, chantent, dansent mais vite doivent s’éloigner puis se séparer en chansons pour tenter de réaliser respectivement leurs rêves professionnels. La comédie musicale virevoltante et onirique attendue se transforme en mélodrame chanté, souvent très sombre, à la manière de l’immense Une étoile est née de George Cukor à qui Chazelle va jusqu’à emprunter parfois les codes de couleurs en contrastes et noirs bouchés. Déjà dans Whiplash, Chazelle clôturait son film par une arythmie, une façon très singulière de faire monter l’euphorie du spectacle tout en décrivant la lente compromission morale de son personnage principal. Cette logique d’un rythme contrarié est celle qui préside à La La Land : faire monter la liesse à chaque scène par la vitalité du découpage, à mesure qu’advient en parallèle la fatalité et la mélancolie. Chazelle pourrait en fin de compte passer pour un cynique : incapable d’assumer la joie du cinéma de ses rêves. En fin de compte, son projet se révèle plus précieux : faire en somme de la tristesse un bonheur de cinéma. Dire adieu à l’enfance du cinéma tout en y puisant sa frénésie pour le réinventer. Réanimer la comédie musicale sans jouer pour autant jouer la carte de la naïveté béate.
RETROUVER LA JOIE
Avec La La Land, Damien Chazelle retrouve l'esprit des grandes comédies musicales US. Un hommage jamais servile, étincelant