Il s’agit d’une histoire de mère et de fille, mais comme nous en avons rarement vu. Une histoire sans heurts, sans complainte, sans reproche, sans tension ni jalousie entre ces deux femmes même si, dans cette famille-là comme dans toutes les autres, il y a aussi son poids de douleurs et de secrets, notamment entre Paola et son frère. C’est en tout cas ce que laisse deviner le regard discret de la documentariste Judith Abitbol qui semble s’être fondue dans cette famille avec sa caméra, et son équipe technique. Abitbol, qui a débuté le documentaire dès sa plus tendre enfance (à huit ans, elle se lançait déjà avec sa caméra Super 8), a choisi de filmer le lien affectif entre deux femmes au tempérament puissant : Paola, orfèvre, artiste, cheveux broussailleux, une paire de lunettes sur ses boucles, directive, bavarde ; Ede, sa mère, petit brin de femme âgée qui semble en apparence fragile et dont la gaieté exubérante contamine le film de part en part. Régulièrement, Paola revient de ses longs séjours professionnels à travers le monde pour voir sa mère qu’elle adore, pour être auprès d’elle dans sa région natale du Tramazzo en Émilie-Romagne. Pendant huit longues années, Judith Abitbol a filmé leurs retrouvailles joyeuses, festives, caustiques. Parfois, elles échangent des secrets, des blagues, s’amusent à table ensemble sans que l’on sache exactement à propos de quoi. Abitbol les laisse, ne peut troubler cette intimité secrète, ce lien qu’aucune caméra ne saurait saisir complètement. Si la joie des embrassades, des jeux multiples, des promenades, des visites, des souvenirs échangés par ces deux tempéraments rythment le film, de menus changements s’opèrent néanmoins. L’antique région se modernise peu à peu tandis que la mémoire d’Ede défaille. La maladie d’Alzheimer affecte Ede. Nulle commisération pour autant. Vivere n’est pas un mélo. Aucune sensiblerie ici. Paola s’occupe d’Ede comme elle peut, effectue des choix pragmatiques, la place dans une maison de santé quand elle n’est pas là, l’emmène quand elle revient écouter des musiciens traditionnels, danser, chanter sur de la variété ou cueillir des fleurs. Abitbol a le don de choisir ses situations. Scène magnifique par exemple, que la cinéaste découpe le moins possible pour en conserver toute la durée et en redoubler la puissance symbolique : debout, Ede rembobine une pelote de laine à mesure qu’elle devise par bribes de mots, d’images, à mesure que le fil de divers souvenirs se dévide et que le film défile. Le temps passe dans Vivere comme jamais. Si Abitbol découpe un peu son film, c’est uniquement pour passer d’une scène à l’autre et rendre perceptible ainsi le passage du temps. On devine aussi qu’elle a du trier des heures et des heures de rush pour saisir avec acuité et pudeur ce qui peut se jouer d’invisible entre deux générations quand l’une d’entre elle est sur le point de s’en aller, en emportant une partie de la mémoire du monde.
Renouer le fil
Avec Vivere, Judith Abitbol tourne un magnifique docu sur Alzheimer – à des lieues du mélo.