ultimaLe duo de réalisateurs gréco-italien s’est installé à Trieste en Italie pour filmer l’ultime plage qui sépare, depuis plus d’un siècle, les hommes et les femmes, par un mur en béton de trois mètres de haut, se prolongeant jusque dans la mer Adriatique. Thanos Anastopoulos et Davide Del Degan, dont l’enfance s’est déroulée in situ, se lancent ici dans une étude sur la nature humaine qui évite le classique question-réponse face caméra. Ils laissent ainsi un groupe d’anonymes du troisième âge vaquer à leurs occupations habituelles, soumis à une météo variable. Linéaire, sans tension narrative, porté par un rythme indolent, L’ultima Spiaggia s’immisce, observe et rend compte, durant quatre mois de tournage, de la vie de cet établissement populaire pittoresque. Sur cette plage de galets de la Lanterna, appelée El Pedocin, ces corps flétris et tannés par le soleil, discutent, chantent, cancanent, jouent, séduisent, se chamaillent et nourrissent le chat qui semble tout aussi à son aise. Au fil des conversations anodines et des badinages incessants se dessine l’histoire de Trieste, sous un angle plus géopolitique. Ces bienheureux évoquent ainsi leurs racines, leur jeunesse et leur attachement à cette station balnéaire coupée en deux, à une époque où la ville portuaire multiculturelle, située à proximité de la zone frontalière italo-slovène, était sous domination austro-hongroise. Des images d’archives de la Seconde Guerre mondiale viennent ponctuer ces instants, brisant l’unité stylistique. Les réalisateurs parviennent à nimber de charme l’inaction de cette tragi-comédie, présentée en séance spéciale au dernier Festival de Cannes, où différents points de vue se croisent : des adeptes du farniente aux employés de ces bains publics, comme ces maîtres nageurs ayant accès à tout. Certains passages sont assez cocasses, comme les coups de gueule de la femme de ménage qui nettoie la plage ou encore ce retraité bourru agacé par ses chaises en plastique qui disparaissent. La caméra ne quitte finalement que très rarement le Pedocin, alternant le plus souvent entre les deux espaces. Le travail sur le montage en devient d’ailleurs intéressant car il fait mine de réunir malgré tout ces hommes, plutôt sédentaires, et ces femmes, davantage aventureuses et joviales, séparés par ce muret qui résiste au temps. À travers leurs réminiscences et les évolutions, passé, présent et avenir s’entremêlent alors dans ce microcosme atypique qui longe le littoral. C’est sans doute le plus fort dans ce « film de plage », qui nous invite à réfléchir sur les vestiges d’une époque révolue, l’incongruité de cette démarcation, les identités, les comportements, les générations et surtout le temps qui passe auprès de ces retraités au crépuscule de leur vie.