kommunistenJ’ai peu de chances de me tromper, camarade, en postulant que tu connais mal les Straub. Je ne saurais t’en tenir grief. Je ne suis pas un médecin qui donne dans la prescription culturelle et toi un inculte en souffrance. C’est le contraire. C’est moi le malade, le déviant, le tordu. Il fallait être déviant et tordu pour épouser le communisme dans les années quatre-vingt-dix et n’en jamais revenir. C’est ce qui nous a, quelques amis et moi, attirés vers le cinéma des Straub. Nous étions communistes et cinéphiles, nous avons entendu parler d’un couple de cinéastes marxistes, nous nous sommes précipités. Ce que nous avons trouvé sur l’écran ne ressemblait pas à ce que nous croyions trouver. C’était beaucoup mieux. De cela non plus nous ne sommes jamais revenus.

Une occasion s’offre à toi d’entrevoir ce que nous avons vu alors, puisque Kommunisten est brodé de longs extraits de cinq des films livrés entre les années soixante et deux mille. Non que Jean-Marie Straub soit gagné par une poussée narcissique tardive. Il s’agit juste, conformément à certaines pratiques de la modernité humiliée, de rapprocher des blocs pour les faire jouer entre eux. Pour voir ce que ça dit, dire ce que ça voit.

Il se peut que ça ne te dise rien. Moi, ça m’a dit ou rappelé beaucoup de choses. Et d’abord que le marxisme des Straub est un vitalisme. Chez eux, le lexique politique sonne comme un lexique physique, concret, vital oui. La résistance qu’aborde le court métrage introductif tiré de Malraux n’est pas celle, incantatoire et fumeuse, que je t’entends invoquer à toutes occasions. Elle est la résistance sous la torture, appelant la question concrète de celui qui en a réchappé : comment ai-je pu tenir ? Au sens où un pont tient sous un convoi de trente-cinq tonnes. Réponse : j’ai tenu parce qu’il y avait assez de vie en moi pour affronter une situation cernée de néant. Ce n’est pas le texte exact, tu m’en excuseras, mais c’est ce que j’en retire qui, je crois, n’est pas inexact.

En amont du rapport de forces politique, un rapport des forces. La vie harcelée par les forces de mort – dont le nazisme ne serait qu’un condensé, une démonstration en accéléré de la panoplie de techniques d’oppression et d’extermination peaufinées au long des siècles par l’humanité occidentale, dit le sulfureux monologue de Fortini Cani.

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