sullyA la fenêtre de son hôtel en plein coeur de New York, un homme grisonnant voit se crasher un Boeing contre un gratte-ciel. Réminiscence d’une image que tout le monde connaît, a vécu à sa façon : celle du 11 septembre. Image à jamais accolée à la ville comme une carte postale de cauchemar. Et de fait, l’homme est en train de faire un très mauvais rêve. Dans Sully, la réalité pour une fois est toute autre. L’homme en question, en 2009, a réussi l’impossible : faire amerrir les 155 passagers de son vol sur l’Hudson, en plein coeur de la ville. C’est un miracle digne des exploits de sir Ernest Shakleton : il n’y eut aucune victime alors que statistiquement les amerrissages sont des catastrophes humaines. Dans Sully, Eastwood va donc tenter de remplacer une image traumatique et envahissante par une autre, plus extraordinaire encore. Pour cela, il faut faire taire les doutes. A commencer par ceux de Sully qui se demande s’il est ce héros que l’Amérique voit immédiatement en lui. Et faire taire aussi les doutes, plus insidieux et mercantiles, des institutions et des grandes compagnies d’assurances et aériennes qui se demandent s’il n’aurait pas été possible d’abord de sauver l’avion en le faisant se poser sur un tarmac plutôt que sur l’eau. Une enquête est donc menée pour comprendre l’impensable. Or on sait qu’à force de fouiner, on finit toujours par trouver quelque chose : des difficultés économiques (comme tout le monde), un mariage compliqué (comme tous les mariages), une carrière un peu insatisfaisante (comme toutes les carrières)… Il n’en suffit donc pas plus pour imaginer que l’homme ait peut-être voulu se suicider. Au lieu d’opposer comme souvent le récit privé et le récit public, Eastwood va plutôt tenter de les réconcilier, de décharger Sully de ses doutes et l’Amérique entière de ses angoisses catastrophistes. Pour cela, le cinéaste, plus pragmatique que jamais, opte pour une idée, à l’opposé de la machinerie spectaculaire habituelle des films catastrophes. Une reconstitution sobre, presque documentaire et en flashback de l’accident puis de l’amerrissage. Il s’agit de montrer tranquillement ce qui s’est passé dans l’avion, de quelle façon Sully et son copilote ont su réagir face à l’impondérable. Les notes de piano habituelles et mélancoliques du cinéastes sont quasi absentes. Tom Hanks, dans son rôle de héros malgré lui, n’a jamais été aussi sobre, aussi effacé. Quand survient l’impact, quand l’avion touche la rivière, l’amerrissage est si doux, si apaisé qu’on se demande encore après la séance si Eastwood l’a vraiment filmé. Pourtant cela a eu lieu et cela seulement devrait suffire. Mais dans la toute dernière partie, Sully est sommé de s’expliquer en détail devant un parterre d’ingénieurs et de juges. Ils ont des fils, des diagrammes, des écrans, des machines, des simulateurs pour reconstituer les dires du pilote. Eastwood oppose un langage crypté et mathématiques au récit très simple de l’homme. Et une fois n’est pas coutume, c’est le récit qui triomphe dans toute la simplicité d’un merveilleux paradoxe : ce qui aura sauvé ces passagers, c’est la petite marge d’erreur humaine qu’aucune machine ne peut anticiper. A la confusion politique ambiante, au relativisme triomphant, Sully substitue avec la douceur narquoise d’un vieil action man l’évidence limpide des faits. Eastwood, le guérisseur.