sicilianCinq ans après l’extraordinaire Salvo, les deux cinéastes siciliens, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza sont enfin de retour. Loin de nous décevoir, ils émerveillent. Si le premier film faisait lorgner le western et le film de mafia du côté du cinéma fantastique, le nouveau est mêlé de mélodrame intime, de polar et de film de fantômes comme son titre l’indique. Les deux cinéastes retournent sur les traces de leur passé, reconstituant la « décennie noire » sicilienne, les années quatre-vingt-dix au cours desquelles d’innombrables kidnappings mafieux furent commis et qui obligèrent les deux auteurs à fuir. Comme Salvo, Sicilian Ghost Story est une balade morbide, une histoire de soleil noir, celui de Sicile dont les rayons maudits affectent, séparent et tuent. Et ce même au-delà du tombeau. Car il s’agit pour les mafieux de faire disparaître toutes traces de vie à l’acide, de faire qu’il ne reste plus rien d’un homme. Ici, cet individu est un adolescent fou amoureux kidnappé par la mafia, à cause de son père qui avait dénoncé des truands à la police. Privé de lumière dans la cave où il est séquestré, voué à une longue agonie, le jeune homme cherche à se transformer, à mesure que les jours puis les semaines passent, en fantôme, en pure esprit dans l’espoir de communiquer avec sa petite amie et lui faire ses adieux. Mais il peine à survivre à ses mauvais traitements, ses forces l’abandonnent, l’empêchant de se rapprocher d’elle par la pensée. Plus il se bat, plus le souvenir de cet ancien amour disparaît de la mémoire de la jeune femme. D’une extrême tristesse, Sicilian Ghost Story est un film contre l’oubli, au lyrisme exacerbé. À la puissance de l’histoire d’amour correspond la force d’images crues sur la barbarie mafieuse, ses crimes abjects, sa lâcheté, sa médiocrité banale. Les deux auteurs alternent scènes insoutenables de crimes, de torture, douceur de l’évocation des émois passés, langueur triste d’un ancien amour sur le point de s’évanouir. Les cinéastes font, comme dans Salvo, preuve de maestria formelle, travaillant sur des cadres aussi composés que tordus, qui inscrivent leur cinéma dans une lignée maniériste : la prison du jeune homme est tantôt rendue anxiogène et puante, tantôt très ouverte par de simples changements d’axe. Maîtres coloristes, les deux cinéastes travaillent les gammes les plus délavées dans des extérieurs qui donnent une image si peu romantique et si sale de la Sicile, comme le faisait jadis Francesco Rosi. Mais ils savent aussi jouer sur des teintes sépia, à l’orée du noir et du blanc pour plomber le film d’un sentiment mortifère obsédant. Cela faisait longtemps que des nouveaux auteurs italiens ne nous avaient pas intrigués à ce point. A l’unisson des efforts désespérés du bel amant qui cherche à se rappeler à la mémoire de sa fiancée, c’est le souvenir de la veine la plus grandiose et opératique des cinémas italiens qui nous revient ici avec force.