dead slowAvec ce beau titre, on entre déjà dans l’étonnant film du Catalan Mauro Herce. Faster but slower disait Martin Hannett, le génial producteur de Joy Divison ; cette proposition habite étrangement la ronde des rythmes puissants qui nous emportent dans Dead Slow Ahead . Film machine, mythologique, métaphysique, animal, concret, d’une beauté formelle impressionnante ; il est intéressant de savoir qu’il nous vient d’un chef opérateur et que ce film est en même temps l’absolu contraire d’un film de chef opérateur, tant la caméra est tenue par un rapport intérieur  à la mise en scène. Intérieur, comme espace en mouvement, Jonas enfermé dans la baleine. Documentaire de sciencefiction mais aussi récit d’initiation melvillienne où Mauro Herce se confronte sans doute, dans ce décor d’hommes et de machines, à son propre avenir de cinéaste.
Véritable continent en mouvement sur l’océan, le Fair Lady est à la fois la ville de Metropolis  et le vaisseau spatial de 2001, l’Odyssée de l’Espace . Mais sans jamais céder à la grandiloquence. Le concret, la précision du filmage et du montage, évoquent davantage le minimalisme de Robert Bresson et de John Ford que les space operas  d’autrefois. Sans doute aussi, qu’un tel film n’aurait pu se faire avant l’invention des caméras numériques précisément à cause de cette relation initiatique qu’on sent entre le cinéaste et la surface sur laquelle, dans laquelle, il inscrit de manière obsessionnelle sa confrontation avec les espaces monstres et les volumes infinis qu’il a choisi de filmer. Sa manière de détourner l’esthétique numérique programmée par la marque de la caméra pour emmener le film ailleurs que vers l’esthétique reproductible à l’infini de la séduction easy  hyper-capitaliste.

Continent d’hommes et de machines coupés du monde, où la puissance érotique du travail des machines et des hommes déplacent des centaines de milliers de tonnes sur la surface de l’océan – le film génère une sensation d’immobilité magnétique qui intensifient nos perceptions. En quelques plans on passe du film catastrophe (l’eau envahit une des cales gigantesques remplie d’une énorme cargaison de blé qu’il faut remonter seau par seau) à l’homosexualité mythique des aventures de marins dans un karaoké philippin psychédélique à bord la nuit du nouvel an. Aux interférences numériques qui brouillent les conversations téléphoniques nocturnes avec les épouses et les petites amies, si lointaines ; ou alors avec des sirènes toutes proches ? Aux marins qui colonisent ce continent de technologie, à leurs solitudes, à leur vie collective spectrale, jusqu’à une table straubienne où attendent dans la lumière vinyle années 50, 8 assiettes, des couverts, 8 verres et 8 pommes rouge.

DSA.  Hypnotisme éveillé de 71 minutes extraites de près de deux cent heures de rushs où l’enregistrement des sons tient une place aussi importante que celle des images. Des sons qui ont sans doute beaucoup infusé, inspiré, le travail de la caméra ; tout comme ces couleurs artificielles ultra-urbaines jusqu’au cosmique. Rarement le cinéma contemporain est aussi réellement contemporain que dans DSA . Où se dessinent des liens clandestins entre la petite machine qui enregistre et l’immense machine navale. Entre les océans et nos cerveaux. Alors que nous subissons tous les jours la litanie capitaliste de la folle vitesse du monde, Mauro Herce a peut-être trouvé le titre de son chant du cygne : Dead Slow Ahead.