COIN COINBruno Dumont rempile et son héros P’tit Quinquin reprend du service pour quatre nouveaux épisodes de sa drolatique et truculente série, formatés chacun pour une durée de moins d’une heure. Sauf qu’il n’y a rien de formaté chez Dumont, au contraire. Si P’tit Quinquin est entré dans l’âge ingrat, s’il est rebaptisé Coincoin, il est toujours cet hybride d’elfe mélancolique et de freak. Gueule cassée, nez tordu, mais il suffit d’un changement d’angle de caméra, d’un autre profil, pour que ses traits soient ceux, durs et juvéniles à la fois, d’un robuste beau gosse. Est-il beau, est-il moche ? On ne sait pas, et de toute façon la réponse n’intéresse pas Dumont, qui laisse libre cours, dans ce quartette d’épisodes déjantés à sa fascination pour l’informe. Pour les contours indistincts, les matières molles, visqueuses. 

Car il pleut de la merde, chez Dumont. Littéralement. D’étranges flaques odorantes – manifestations d’une vie extra-terrestre – viennent joncher les champs, s’écraser comme un mixte de fiente et de fioul sur les têtes des personnages. Ce qui n’empêche pas Dumont de mener une chronique ado régionale : les amours contrariées de Coincoin, le flirt avec le « Bloc », repaire de petits fascisants, le travail aux champs, la plage… Mais simultanément c’est aussi l’enquête de l’inénarrable duo du commandant Van der Weyden et du lieutenant Rudy Carpentier. Qu i é v o q u ent les Bougret et Charolles de Gotlib lancés sur la piste des extraterrestres, le tout mâtiné de George Romero lorsque Dumont filme un camping dont les occupants sont zombifiés, ou de 2001 version scato. Hachis de références irrévérencieuses : Coincoin et les Z’inhumains est un magma. 

Mais un magma n’est pas une bouillie. Et Dumont, dont on sait qu’il est passé par la philosophie, semble faire écho aux analyses de la grande anthropologue Mary Douglas sur la souillure et l’impureté. Ce qui soulève le coeur, ces matières molles, répugnantes, cette merde, fût-elle spatiale, c’est ce qui secoue l’ordre social. Déplace les limites et les positions assignées. Et ce n’est pas pour rien que, lorsqu’ils sont sous l’emprise de ces excréments de l’espace, les personnages donnent naissance à un clone d’eux-mêmes. Homme ou femme, ils accouchent, leur clone leur sort d’entre les jambes. Comme une nouvelle forme de procréation sans couple procréateur. Un nouveau rapport de soi à soi – où l’étranger, l’envahisseur, n’est pas l’autre, mais le semblable. Coincoin et les Z’Inhumains est une fable d’une rare acuité sur les angoisses, les doutes, et les rêves de notre XXIe siècle.