douleurIncarner, tel est le mot d’ordre d’Emmanuel Finkiel, tel est le secret de la réussite de La Douleur. Pour Emmanuel Finkiel, adapter Duras, s’emparer de ses mots, c’est, littéralement, les travailler au corps. D’où cette caméra à fleur de peau, qui serre au plus près Marguerite (Mélanie Thierry) en multipliant les gros plans, cherchant à capter, sur ce visage à la fois opaque et très expressif, toutes les fluctuations des affects et des humeurs : épuisement, sursauts de vitalité… Et Mélanie Thierry est la partenaire idéale du cinéaste. Consciente des écueils du rôle, elle cherche le ton juste, sans pour autant céder aux facilités de la singerie et tenter d’apparaître plus durassienne que Duras.

Revenons sur l’épisode autobiographique, la matière de La Douleur. Sous l’Occupation, en 1944, Marguerite Duras apprend que son époux, Robert Antelme, tout juste arrêté, va être déporté. Avec l’aide de membres de la Résistance, parmi lesquels Morland – le nom de guerre de Mitterrand (Grégoire Leprince-Ringuet) – et Dionys Mascolo (Benjamin Biolay), elle tente d’obtenir des renseignements auprès de la Gestapo. Rabier (Benoît Magimel), un agent français de la Gestapo, la repère et semble tomber sous son charme. Se noue entre les deux une relation ambiguë, qui tourne vite au jeu du chat et de la souris. Rabier cherche-t-il à piéger Marguerite, se retrouvant comme par magie sur son passage alors qu’elle marche seule dans les rues de Paris ? Marguerite est-elle prête à s’offrir à l’ennemi pour arriver à ses fins ?

Sortant d’un thriller (Je ne suis pas un salaud, 2015), Finkiel exploite à merveille cette proximité équivoque. Marguerite est la seule femme à jouer un rôle notable dans l’histoire. S’instaure une tension érotique palpable avec les hommes qui gravitent autour d’elle. La quête initiale (sauver un homme, son mari, Robert) se dissout peu à peu dans une confusion des sens ? Rabier devient aussi familier à la jeune femme que Dionys, son allié le plus proche. Si bien que lorsque Robert rentre finalement, affaibli mais bien vivant, l’émotion de Marguerite n’a pas l’intensité escomptée – d’autres hommes ont occupé la place laissée vacante…

Emmanuel Finkiel confie avoir initialement eu des réticences à l’idée d’adapter ce texte. Rien de plus logique tant il fait affleurer tout ce qu’on ne voudrait pas entendre, suggérant que sous la « douleur » de la femme éplorée fermente autre chose. Quelque chose de noir, un trouble érotique entre Marguerite et l’ennemi.