ornithologueEn ces temps-là, les hommes étaient chastes et doux. Et les jeunes Chinoises venues faire du trekking dans le nord du Portugal étaient excitantes et castratrices. Jésus était un jeune berger sourd-muet qui n’avait encore jamais vu un oiseau à travers des jumelles. Les amazones aux seins nus pouvaient à la fois tuer les hommes et les ramener à la vie. On pouvait trancher la gorge de l’acteur principal et celle du cinéaste, sans pour autant qu’ils meurent. En ces temps-là, au cinéma, tout pouvait s’inverser seulement en bougeant les yeux : la chasteté et le sexe, la vie et la mort, la magie et la blague potache. Comme si le cinéma vivait encore au temps de l’innocence et que la naïveté était une esthétique. Comme si les dieux ne s’étaient pas encore retirés du monde.

On avait quitté le cinéma de João Pedro Rodrigues et João Rui Guerra da Mata en Asie, après un film dément – La Dernière Fois que j’ai vu Macao – documentaire hanté par toutes sortes de fulgurances SF urbaines, coloniales et tropicales. On les retrouve quelques années plus tard dans la verdure d’une forêt portugaise avec cette fois seul Rodrigues à la réalisation. João Rui Guerra de Mata ayant co-signé le scénario.

Luis Buñuel était fasciné par les insectes, Rodrigues par les oiseaux ; on sent dans cette fascination, chez les deux cinéastes, la circulation d’un même venin, fraternel et transgressif. Tous deux sont des cinéastes rationnels et subversifs. Tous deux se sont inspirés d’un pèlerinage vers Santiago de Compostelle. L’Ornithologue faisant par bien des aspects écho à La Voie Lactée de Buñuel et plus récemment à L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie et Tropical Malady d’Apichatpong Weerasekathul.

Film nocturne et solaire, L’Ornithologue est plus volatile que La Dernière Fois que j’ai vu Macao. Glissant d’un genre à l’autre, il donne l’impression de s’évaporer sous nos regards au fur et à mesure qu’on tente de le préciser. Film religieux ? Western ? Film fantastique ? Film SM ? Film pour enfants ? Comédie surréaliste ? Rodrigues n’hésite pas accumuler les symboles et les références religieuses. Mais là où Buñuel jetait de l’acide chlorhydrique dans le visage de la religion, Rodrigues exprime un certain bonheur à ressusciter saints et pèlerins, Jésus et sang du Christ.

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