Cela fait plus de dix ans qu’on était sans nouvelle d’Édouard Baer, réalisateur. Le comédien revient par la bonne porte pour lui (et pour nous), c’est-à-dire celle qu’il connaît le mieux: la nuit parisienne, celle des bars à filles et des troquets vides, le Paris de Blondin, des tournages de cinéma, celle peuplée par les romanichels du spectacle et les bonimenteurs de tout poil. En fait de bonimenteur, Luigi (à qui Baer donne ses traits et un smoking à chemise rouge) est un professionnel en détresse: producteur de spectacles ruiné mais criblé de dettes, forcé la veille de la première de payer ses comédiens et ses techniciens en grève, soumis à une riche mécène qui ne veut plus en entendre parler, obligé de trouver un singe de toute urgence – Luigi a une nuit pour trouver une solution à tous ses problèmes. Mais au lieu de les régler un à un, Luigi s’y dérobe sans cesse. Il préfère vivre cette nuit le plus intensément possible plutôt que de s’ennuyer avec de vaines questions d’argent. Accompagné par une stagiaire enthousiaste (Sabrina Ouazani), Luigi passe donc chez les uns et chez les autres (amis comme ennemis), vole un chimpanzé et s’enfonce dans les ennuis comme dans la nuit. Homme de spectacle, il fait de chaque rencontre, chaque péripétie, un numéro rocambolesque et vivant. C’est le credo du film et du personnage: transformer chaque seconde en un moment d’éternité. Refuser l’ennui coûte que coûte, puiser le meilleur en chacun, notamment en Audrey Tautou, très émouvante. Cette dynamique de la dérobade est une vraie bonne idée de comédie car elle la rend de plus en plus troublante, voire inquiétante: plus il est acculé, plus Luigi fait n’importe quoi, quitte à devenir odieux et pathétique. Le film échappe ainsi au programme attendu d’une énième course contre la montre qui tournerait bien et où le personnage se rachèterait in fine une conduite et une conscience. Cette dynamique de la chute haute en couleurs offre des idées improbables : Luigi fait un chèque en bois de plusieurs milliersd’euros à un clochard qui mendie. A cause de lui, le chimpanzé se fait écraser très vite. Baer filme Paris comme un tréteau illuminé d’enseignes, de lampadaires, de vitrines. Paris ne se limite pas au périphérique, c’est aussi sa banlieue, Montreuil, ses maisons dérobées avec une faune bigarrée, cosmopolite. Arrimée aux corps de son couple de comédiens véloces, la caméra est embarquée, recadre sans cesse, précipitée dans ce mouvement incessant, épuisant, sans répit. Aux figures mimesques propres à ce type d’aventures comiques, Baer substitue un burlesque sonore. Chaque obstacle est contourné par une envolée absurde, chaque phrase est débitée de façon staccato, chaque répartie est un gag en soi. La mauvaise foi insupportable de Luigi rappelle vraiment celle de Cary Grant dans La Dame du Vendredi et celle de Katharine Hepburn dans L’Impossible Monsieur Bébé du même Hawks. La vitesse, la chute nonsensique de la logorrhée en cascade de mots débités pour rien, sature par accumulation la bande sonore. A ce Paris inédit, Baer inocule, avec moins de désinvolture que par le passé, le meilleur de la grande comédie américaine.
L’impossible monsieur Baebaer
Édouard Baer est de retour aux affaires, avec Ouvert la nuit. Une brillante traversée de Paris, sauce burlesque.