vilsArt urbain, art humain. Où l’on découvre le travail de Vhils, contemplateur et sculpteur de nos mégapoles.

La figuration n’est pas un combat d’arrière-garde, province de quelques nostalgiques de l’illusion mimétique. Au contraire. Certains des artistes contemporains les moins calibrés, les moins assujettis aux canons, qu’ils soient d’antan ou d’aujourd’hui, sont si persuadés de la toute-puissance du visage qu’ils ne cessent de l’invoquer. De le dévoiler, de le recomposer, d’en bousculer les limites. 

Témoin le jeune Portugais Vhils, issu de l’univers du graff, nourri de la grande tradition des muralistes portugais, comme nous l’explique avec une rigueur passionnée et enjouée Clémence Demolling, de la galerie Danysz, qui co-organise l’exposition avec le CENTQUATRE. Hanté par les surfaces pelées, écaillées, des bâtiments lisboètes, il pratique un art de la soustraction. Qui consiste à creuser la matière. Comme un archéologue. Comme pour ôter les masques, retirer les couches de maquillage. Et c’est Babel, cette vaste installation, cet échafaudage de portes récupérées ici et là, dont il a incisé le bois. Formant ainsi des réseaux de lignes, ou plutôt de sillons, qui laissent apparaître des figures humaines. Des visages du monde entier, nous précise Clémence Demolling. Vertige d’une métamorphose au carré – des portes muant en traits humains, et ces traits individuels, si divers, prenant valeur universelle.

Mais Babel n’est qu’un des temps de cette exposition, conçue comme une série de stations disposées autour d’une pièce centrale, l’impressionnant Débris. Soit une agglomération d’objets du quotidien, meubles, livres, trousseau de clefs, carcasses de voitures, amoncelés en un paysage hétérogène, qui serait post-apocalyptique s’il n’était uniformément recouvert de peinture blanche. Façon de nous donner à voir autrement la physionomie d’une ville – en l’occurrence Paris, où l’artiste a récupéré ces éléments. Car pour Vhils, la ville a un visage, et ce n’est pas seulement la licence poétique de la métaphore qui justifie cette assertion. Prenez Diagrama, une foisonnante sculpture en polystyrène, tout hérissée de barres verticales – version d’une vue urbaine contemporaine réduite à sa plus simple expression géométrique, ces fûts à section carrée, dressés vers le ciel. Ce ciel, justement, celui de la salle où est exposée l’oeuvre et où est tendu un miroir. Qui reflète ce que dessinent les masses et les groupements des éléments de la sculpture : des visages humains. On pense à Banksy, à JR, à ces autres grands visagistes urbains. Il y a moins une influence, nous explique Clémence, qu’une « fraternité », une conjonction dans les démarches et les fascinations. Il faudrait évoquer aussi ses vidéos, comme cette explosion au ralenti : un vaste nuage de fumée dont les contours flottants s’enflent, se soulèvent, se creusent, se dissipent, comme autant de figures fantasmagoriques dessinées dans un nuage. Où encore ces autres vidéos, urbaines, projetées sur un écran incurvé, façon diorama, où des passants sont à la fois différenciés et indistincts, tant leurs traits se noient dans le flou du mouvement. Non pas pour les effacer, dans on ne sait quel réquisitoire contre l’impersonnalité de la grande ville, mais pour nous laisser latitude, à nous autres, spectateurs, d’y substituer une infinité de visages possibles – et pourquoi pas le nôtre.