Orleans

De film en film, le jeune cinéaste Virgil Vernier a promené un regard socio-mythologique sur diverses institutions françaises, qu’elles soient administratives ou culturelles. Présenté en compétition au dernier festival de Brive, Orleans aborde le cas de Jeanne d’Arc à travers le portrait d’une jeune fille déclassée.

Dans un bar sinistre en périphérie d’Orléans, deux jeunes strip-teaseuses dansent, baignées d’une lumière électrique qui semble celle d’un bûcher. Retournées dans leur hôtel miteux, elles se racontent leurs problèmes, leurs projets, leurs espoirs le temps d’une nuit. Le lendemain, alors qu’elles se promènent dans la forêt, elles font la connaissance de la jeune femme incarnant Jeanne d’Arc durant les festivités qui lui sont consacrées à Orléans depuis près de 600 ans. Le cinéaste joue sur des allers-retours entre l’oeil documentaire et la portée symbolique : la promenade en forêt débouchant sur une rencontre avec Jeanne d’Arc semble sortie d’un conte. Les deux amies aident cette Jeanne à revêtir son armure, elles qui sont payées chaque soir pour se dévêtir des leurs. Elles se trouvent, après cette rencontre, emportées dans les festivités, qu’elles observent avec amusement et admiration. Mais lorsque l’une d’elles (Joane) tente de franchir les barrières qui encadrent le défilé, elle est immédiatement remise à sa triste place par le service d’ordre du cortège. La nouvelle Jeanne est rejetée par les admirateurs de l’ancienne.

 Une force subversive

La méthode Vernier, qu’il aime tenir secrète, consiste à imbriquer réel et fiction, à faire jouer leur propre rôle aux comédiens sur fond de documentaire. Ses films ont souvent pour cadre une institution, dont il s’agit de rendre compte de l’intérieur en même temps que par ses marges. Si l’on en juge par les réactions de certains intéressés (ici la mairie d’Orléans, qui n’apprécie guère le film), on ne peut douter que le cinéma de Virgil Vernier a une portée subversive. La date de sortie (le 1er mai) coïncide d’ailleurs avec le rassemblement du Front National devant la statue de Jeanne d’Arc. Mais la subversion, ici, se situe moins dans le propos que dans les partis pris de mise en scène. Le périple d’Orléans a pour origine un rapprochement esthétique (la strip-teaseuse et sa barre de pole dance évoquent Jeanne d’Arc et sa lance), qui de fortuit devient petit à petit aussi nécessaire qu’une légende. Les cadres sont presque toujours géométriques, et le format de l’image (4:3, format quasi carré) contribue à faire de chaque plan une vignette iconique. Ainsi, à la statue de Jeanne d’Arc correspond immédiatement le visage de Joane. En filmant des séquences jouées alors que se déroulent les fêtes dont il est question, Virgil Vernier n’aligne pas la fiction sur la réalité, bien au contraire. Le quotidien est élevé à hauteur de fiction, de plusieurs fictions : le récit d’apprentissage d’une jeune strip-teaseuse, le thème de la sainte fille de joie (au moins aussi vieux que le Nouveau Testament), l’épopée de Jeanne d’Arc. Mais aussi, bien sûr, à hauteur de l’existence cinématographique de l’héroïne : de Dreyer à Ramos, en passant par Bresson et Rivette, Jeanne d’Arc est un thème cinématographique que Virgil Vernier réactive tout en le dynamitant. Car, dit le film, la pucelle d’Orléans n’appartient pas à ceux qui en font leur porte-étendard, et du sexe à la sainteté, il n’y aura qu’un plan.