le bel étéCeci est un film sur les migrants et ceci n’en est pas un. Ou plutôt, voilà un film qui montre l’accueil de jeunes Africains dans une famille normande sans jamais traiter la question de la migration comme un Grand Sujet de Notre Temps, sans y plaquer de l’idéologie, sans imposer au spectateur un sentiment de culpabilité ou une injonction au misérabilisme compassionnel. Certes – dans la mesure où Le Bel été accompagne l’ouverture à l’Autre plutôt que le repli sur soi – on peut affirmer que la politique y est omniprésente, mais seulement en filigrane, sans le moindre gramme de discours surplombant.

Et ce que montre le film, c’est le quotidien le plus banal, le tissu de l’existence au plus près de l’os de l’intimité. Soit donc Sophie, Simon et Robert, vivant dans un village côtier de Haute-Normandie, membres de l’association Les Lits Solidaires, qui accueillent le temps d’un été Amed, Mohamed et Wally, adolescents réfugiés de Guinée et du Mali. Creton s’attache à filmer (simplement et superbement) ces moments non spectaculaires qui construisent les journées d’un été normand : une balade à la plage, une baignade, la cueillette des fruits, le thé de l’après-midi, la confection des repas, la lecture pour perfectionner son français – et pas n’importe laquelle, celle d’oeuvres littéraires. C’est par cette addition de moments et de gestes simples, quotidiens, que se construit le processus d’intégration. Et c’est par ces fragments de vie quotidienne filmés avec patience et attention, sans intentions trop visibles ni surlignage, que Creton échappe à un naturalisme terne. D’autant que par certaines de ses coupes sèches, par telle séquence énigmatique (un des protagonistes appelle quelqu’un dans une forêt, sans réponse et sans suite, comme en un songe), ou par telle ellipse (une scène où les réfugiés discutent entre eux dans leur langue, sans le moindre sous-titre), le film ménage des zones mystérieuses, introduisant un espace de non-dit où peut s’engouffrer l’imaginaire du spectateur. De même on sent des flux sensuels circulant entre les personnages, même si rien n’est dit ou montré.

Cette tension ou fusion entre réalisme et romanesque, documentaire et fiction, s’incarne dans le casting, partagé entre comédiens (les Normands qui accueillent) et protagonistes qui rejouent leur propre rôle (les jeunes migrants) : ainsi, Le Bel été accueille et partage devant et derrière la caméra, dans sa fiction inspirée de la réalité comme dans son tournage réel, joignant le geste à la création, et cela, sans jamais envoyer de message ni se targuer de sa propre grandeur d’âme. Peut-être est-ce là toute la différence entre le cinéma et la bonne conscience ou le prêchi-prêcha… En montrant sans démontrer, en donnant une leçon (de cinéma) sans jamais faire la leçon (de vivre-ensemble), Pierre Creton fait assurément oeuvre de cinéaste.