DENISTessa, Lisa, Clément, Judith, et les autres. Lycéens à Ivry-sur-Seine, en première option cinéma, ils font, sous la caméra sensible de Claire Simon, ce que tous les lycéens font : ils parlent. Se racontent, se questionnent, inventant un art de la conversation ado à la fois pudique et honnête, touchant et intelligent. Lumière de la jeunesse, de leurs visages parfois radieux. Gravité aussi : leurs paroles tentent de circonscrire une faille, leurs mots d’explorer un gouffre. Celui de l’absence – du père, du pays natal. Rarement on a montré avec autant de grâce que la jeunesse est une affaire sérieuse. Rencontre avec celle qui a su si bien la capter. 

C’est un documentaire, mais ce n’est pas vous qui menez le jeu des questions avec les lycéens… 

Au lieu d’être en entretien avec moi ou un adulte, ils s’entretiennent entre eux. J’ai pu ainsi faire le portrait du lycée comme un forum, ou plutôt une place publique : un lieu où on discute tout le temps. 

Le premier entretien, c’est quand même entre une jeune fille et une adulte, l’infirmière scolaire. Pourquoi ? 

C’était comme une pente, pour ensuite entrer dans leurs dialogues à eux. C’est très impressionnant d’ailleurs ce qu’elle dit : on comprend que sa mère est rescapée du génocide khmer et elle en parle de façon sidérante : on voit à quel point l’arrachement, le changement de culture l’obligent à prendre ses distances avec ses origines. 

Cette « place publique » est le lieu où l’intime s’expose, où les lycéens se mettent à nu… 

Ils ont pris l’option cinéma, ils aiment les films et estiment que dans un film, il faut raconter quelque chose d’important. J’ai fait un premier travail de rencontres avec eux, qui n’est pas du tout dans le film. Je m’attendais à des histoires de copains, de lycée, mais eux revenaient toujours sur leurs parents. Les ados parlent sans cesse de leurs parents ! Je pensais faire un film sur les drames de l’amitié, et je me suis retrouvée à faire un film sur l’absence des pères… 

Beaucoup semblent habités par un sentiment de nostalgie… 

Bien sûr : c’est la perte de l’enfance. Ce sont des adolescents, mais ils savent que cet état ne va pas durer, que ce qui les attend c’est la solitude de l’âge adulte. Et il y a effectivement cette nostalgie, que je trouve très belle, drôle aussi, comme lorsque Manon dit sa tristesse d’avoir dû quitter Paris et l’Ile Saint-Louis pour Ivry. C’est ce que dit aussi Tessa à Judith, lorsqu’elle évoque son enfance, la période où la famille n’était pas séparée. 

Vous évoquiez votre surprise lorsque vous avez constaté que le drame sur l’amitié que vous pensiez faire s’était mué en film sur l’absence paternelle. Ce qui m’a surpris, c’est leur langue : elle n’a rien des clichés qu’on prête à la jeunesse… 

La sophistication de leur langue m’a beaucoup étonnée. Ce n’est pas du tout une langue de « banlieue ». Et ils sont pourtant issus d’un niveau social très modeste, à part Manon qui est une déclassée. 

En regardant votre film, je pensais à celui de Jean Rouch, Chronique d’un été, qui pose la question du bonheur aux gens filmés… 

Je l’ai vu très tardivement, mais Rouch a fait sur les adolescentes un film magnifique, Les Veuves de quinze ans. Et il y a aussi La Punition, sur une jeune fille qui est punie, qui traîne dans Paris pendant une journée, fait des rencontres. Jean Rouch est pour moi un grand maître.