lavdiazDouzième film de Lav Diaz, La Femme qui est partie est l’un de ses plus beaux. Alors que l’actualité cinématographique semble être devenue juste un algorithme parmi d’autres de l’actualité médiatique, film après film, le cinéma de Lav Diaz construit une actualité à lui tout seul. Comme il est coutume de le rappeler, les films de Lav Diaz sont habités par des durées intérieures propres à son cinéma. Ignorée par la presse pressée il y a encore quelques années, après plusieurs prix importants obtenus à Locarno, Venise et Berlin, force est de constater qu’en quelques années ces durées singulières ont joliment tracé leurs chemins dans le monde. Affirmons-le avec force, la durée cinématographique, chez Lav Diaz, est juste d’une beauté foudroyante. Une beauté qui semble hors d’atteinte de tout ce qui abîme aujourd’hui le cinéma. La beauté d’une foi féroce en l’être humain et dans les capacités du cinéma à l’exprimer.

En cela, la sortie ce mois-ci de La Femme qui est partie est réjouissante. Permettant ainsi au grand public de découvrir le travail d’un cinéaste jusqu’à présent visible exclusivement dans les festivals. Et c’est d’autant plus réjouissant que le cinéma de Lav Diaz est entièrement habité par la salle de cinéma. Car c’est un cinéma qui magnifie la salle et que la salle magnifie. Rappelons également qu’à Manille, les salles indépendantes telles que nous les connaissons encore pour le moment en France, ont toutes été anéanties au profit de multiplexes conçus pour les blockbusters US. Temples marchands autour desquels sont construits les grands centres commerciaux mafieux et meurtriers. Et que pour présenter un de ses films dans une salle de cinéma à Manille, le cinéaste doit payer lui-même la location.

La Femme qui est partie est une longue et profonde inspiration de 3h45. Si la durée du film est si juste, c’est parce que le film respire librement et fait respirer nos regards. Une durée magnétique, calme, qui tient plus de la coulée et de la puissance, que de la lenteur. Étonnante douceur du va-et-vient entre ses personnages, les situations, et nous, assis dans la salle. On aurait envie de dire « comme dans un roman » – mais au cinéma. Nous, face à l’écran, comme face aux pages mouvementées d’un roman où les personnages vivent devant nos yeux.

Cet écran où se déplie en grand tout ce qui peuple les romans. Personnages, situations, violences, rythmes, fulgurances, grâce, cycles temporels, histoire, géographie, sentiments, métaphysique, politique. Nous, qui vivons en même temps que le déploiement des plans. Absolument conscients d’être vivants, libres d’entrer et de sortir du flow , de le laisser se déposer, le reprendre, de ne plus pouvoir le lâcher, d’y penser intensément dans l’instant, de revenir un peu en arrière, de s’endormir quelques instants, de s’y enfermer, de se laisser emporter par la traversée. Nous donnant ainsi vla possibilité, jubilatoire, de (re)devenir des spectateurs.