ERIC KHOOD‘Hôtel Singapura on dira que c’est une auberge espagnole. Ne vous y méprenez pas : c’est un compliment. Non seulement parce qu’on place très haut le taulier, Eric Khoo (My Magic ou encore Tatsumi, deux films qu’on n’a pas encore fini d’épuiser), mais parce qu’il réussit un tour de force. Allier la densité romanesque à la rigueur d’un dispositif : le film se déroule dans le huis-clos d’une seule chambre d’un grand hôtel de Singapour. La 27 pour être précis. On aurait volontiers  fait du namedropping, cité Sophie Calle et ses clichés de chambre d’hôtel, Perec et sa façon de faire rentrer une myriade d’histoires dans la géométrie d’une architecture. Mais ce serait oublier qu’Eric Khoo est singapourien, et que c’est une nation, et son histoire, qui défilent au gré des segments. Le départ des Anglais dans les années 40, les fifties exubérantes, avec strip-teaseuse et parrain de la pègre, les sixties pop – sans oublier un épisode avec un trans thaïlandais, ou bien une « desperate housewife » japonaise des années 80 qui rejoint son amant pour des corps-à-corps torrides, ou encore un couple de jeunes Coréens. Eric Khoo, servi par son habituelle science de la lumière, ses nimbes de clair-obscur, ses dosages réussis entre le cocasse et l’érotique, le poignant et le fantastique (le fantôme d’une jeune rock-star veille comme un bon génie pop sur les différents occupants de la chambre), n’est pourtant certainement pas un cinéaste « régional », la région eût-elle les dimensions de l’Asie. Car c’est la plus vieille tragédie qui se joue et se rejoue dans cette chambre 27 au fil des époques. Celle de l’amour impossible. Entre l’Occident et l’Orient, entre amants adultères, entre hommes et femmes, entre amis. Chaque fois, une barrière – morale, physique, politique, linguistique même. Et chaque fois une tentative mélancolique drôle pour la surmonter. D’un hôtel l’autre : nous avons rencontré Eric Khoo dans l’ultrachic  bonbonnière des salons de l’hôtel Raphaël. Enthousiaste et pleine de verve, le réalisateur prouve qu’il y a au moins un amour qui n’est pas contrarié, celui qu’il éprouve pour le cinéma.

[…]

EXTRAIT… ACHETER CE NUMÉRO