bread factoryPatrick Wang nous avait éblouis avec ses deux premiers films (In the Family ; Les Secrets des autres), réalisés dans des condit ions économiques dérisoires. Se dessinait une personnalité scrupuleuse de cinéaste anthropologue s’intéressant aux diverses façons dont se forment et se renforcent les communautés quand elles se sentent menacées de l’intérieur comme de l’extérieur. Avec ce nouveau film construit en deux parties très dissemblables, Wang s’extrait de la communauté familiale pour glisser vers celle d’un petit centre artistique, une ancienne usine de pain reconvertie en centre culturel par deux femmes. Le centre est menacé lorsqu’arrivent en ville deux performers chinois. Le conflit principal porte sur le vote des subventions faut-il les accorder au centre ou aux nouveaux venus ? Chacun cherche alors à consolider ses troupes comme ses engagements en essayant de sauvegarder ce qui peut l’être encore. L’éclatement des points de vue comme la profusion de personnages donnent à cette première partie une consistance à priori peu homogène de films à épisodes : le film est construit à partir de saynètes qui s’apparentent chacune à des sketchs. Wang, qui a été formé au théâtre, joue ainsi en plans larges et souvent fixes sur une très grande distanciation comique pour traiter des problèmes économiques comme de la réception des oeuvres et des performances. Tout semble si bien improvisé que ce film s’apparente à une réminiscence des films politiques estudiantins de la fin des années soixante (Greetings de Brian De Palma) d’autant que Wang ponctue chaque scène par des répliques absurdes qui semblent empruntées à Beckett. Voir par exemple ce moment où l’on attend le discours d’un performer, lequel ne peut pas dans son casque d’astronaute se faire entendre. Jaillissent alors et malgré son silence des salves d’applaudissements sans qu’il soit possible de distinguer s’il s’agit de vraies manifestations d’enthousiasme ou d’enregistrements à la manière de rires en boîte dans une sitcom. Wang ne nous avait pas habitués à cet humour insensé, après deux films intimistes. Pour autant le réalisateur ne perd pas son grand atout : une attention rare portée à la psychologie. Dans ses scènes, alors que les protagonistes principaux traversent des drames divers, Wang fait du spectateur une sorte d’enquêteur, de Sherlock Holmes de l’âme. On attend avec impatience la deuxième partie de ce film pour voir jusqu’où peut s’étendre l’extraordinaire richesse de la palette de Wang.