SEVE JOBIl a changé nos vies. Danny Boyle nous permet de changer d’avis sur lui. Avec cette adaptation de la biographie à succès de Walter Isaacson, le scénariste Aaron Sorkin fait du génie Steve Jobs un homme comme les autres, avec ses failles, ses névroses et ses zones d’ombre. Quand sa fille longtemps cachée l’interroge sur son déni de paternité, il brise l’armure et admet avoir un « défaut de fabrication ». Danny Boyle use alors de splendides ralentis et de champs-contrechamps épurés à l’image de leur rapprochement torturé. C’est sans doute ce que le spectateur conservera de ce nouveau biopic du cofondateur d’Apple : un homme moins doué pour les rapports humains que pour les affaires. Car même dans le business, Steve Jobs se montrait mégalo au point de ne rien reconnaître du talent de ses associés. Pour mettre en exergue le combat de sa réussite, le réalisateur a respecté la chronologie des faits. À chaque lancement d’un produit phare correspond un chapitre de son existence avec un style, un format et un grain distincts. Pour illustrer ses débuts, la commercialisation du Macintosh en 1984, Danny Boyle choisit de tourner en 16 mm pour donner un côté un peu amateur et familier à l’image comme à cette première machine personnelle.

Pour le dévoilement du NeXTcube en 1988, le metteur en scène passe au 35 mm dans une ambiance plus raffinée dont les mouvements de caméra et la musique suggèrent l’idée de vengeance préméditée contre Apple. Quant au dernier acte consacrant l’avènement de l’iMac, la caméra numérique très haute définition vient caresser l’idée visionnaire du futur à portée de main instillée par Steve Jobs.

Et chaque campagne de lancement est l’occasion de rappeler le côté obsessionnel de ce personnage tyrannique et shakespearien magistralement interprété par Michael Fassbender. L’acteur fétiche de Steve McQueen manie les joutes verbales avec un humour et une finesse qu’on devine propres au génie de Jobs comme au scénario original d’Aaron Sorkin. Face au monstre, la directrice marketing et confidente du gourou d’Apple, Joanna Hoffman, incarnée par l’excellente Kate Winslet, vient adoucir le portrait sombre d’un homme à l’écoute de son bras droit jusque dans l’intimité. Ou comment les monstres puissants savent s’entourer et attirer l’attention de gens aussi dévoués qu’intelligents. Jeff Daniels s’avère également formidable dans la figure du père de substitution qui rappelle subtilement l’enfance douloureuse de Steve Jobs. Avec la délicatesse qu’on lui connaît depuis Trainspotting, Danny Boyle nous autorise enfin à porter un regard critique sur une des plus grandes icônes de notre époque. Et ce film démontre ainsi qu’il y avait une part d’humanité dans la folie de celui qui considérait le lancement de son Macintosh comme le deuxième événement le plus important du xxe siècle après la victoire des Alliés.