united states of loveDu fait de sa belle gueule de hipster à lunettes, Tomasz Wasilewski est souvent considéré comme le Xavier Dolan polonais. United States of Love est déjà son quatrième long métrage et fascine tant par sa maîtrise que par la lucidité du regard porté sur l’histoire, la société et, notamment, le sort des femmes. Le film se déroule en Pologne, au lendemain de la chute du bloc soviétique, dans la continuité du mouvement Solidarnosc. Mais la Pologne n’a pas encore changé, et les personnages du film déambulent dans un espace intermédiaire, entre campagne et grands immeubles soviétiques. Le film oscille entre couleurs et noir et blanc. Cette image incarne cette période de transition entre un monde qui se meurt mais subsiste à l’état de vestige et un monde nouveau qui n’existe encore qu’à l’état de fantasme. Fantasmes est le maître mot de ce film clinique et impitoyable qui évoque le cinéma de Michel Franco et d’Ulrich Seidl. Dans ce décor quasi fantastique, le cinéaste suit le destin de quatre femmes et a l’art en quelques plans fixes de dessiner des caractères inoubliables : la joie de vivre et l’inquiétude d’une prof d’aérobic, la nature secrète mais aussi passionnée d’une directrice d’école, la frustration triste d’une épouse perdue et la solitude d’une femme âgée qui rêve encore aux lendemains. Avec cette matière riche qu’il donne à voir dès ses plans inauguraux, Wasilewski s’interdit la facilité d’un énième film choral. Il préfère s’intéresser à chacune de ses héroïnes, leur offrant respectivement un long chapitre, lequel se clôt toujours sur une scène d’enterrement. Ces quatre mouvements distincts finissent par s’enrichir mutuellement et gagner en complexité et en compassion. Chacune de ces femmes s’interroge sur leur avenir et, en particulier, sur leur rapport à leur corps et à l’amour. L’amour les obsède sous toutes ses formes : passion sexuelle d’une épouse pour un jeune prêtre, amour infini pour un amant qui vient de perdre sa femme légitime, amour de soi pour la prof qui se rêve mannequin et amour ambigu (charnel et désintéressé à la fois) de sa voisine. Des sentiments toutefois interdits par la parole catholique, par le poids d’une société encore figée dans ses vieux réflexes communautaires. Autant de passions et de fantasmes éprouvés dans le silence, les larmes retenues, la honte de soi, la contrition de corps tristes et qui conduiront chacune d’entre elle vers un destin tragique et un dernier chapitre d’une violence explicite insoutenable. Wasilewski ne lésine sur aucun moyen pour tordre ces quatre corps de douleurs. Des quatre histoires, celle de l’amour d’une directrice d’école coincée pour un veuf inconsolable est la plus extraordinaire. Le cinéaste grime son héroïne à la manière des personnages de mélodrames des années 50 de Douglas Sirk et Vincente Minnelli. Et de fait on pense à l’héroïne frigide mais frustrée, amoureuse éperdue mais silencieuse de Comme un torrent dont Wasilewski retrouve toute la flamboyance. Mais une flamboyance glaciale.