Invitée de la Biennale de danse du Val de Marne, Oona Doherty présentait au CDCN Carolyn Carlson sa dernière création Lady Magma, une pièce aux accents seventies qui célèbre au détour de la transe le corps féminin. Jubilatoire autant que libérateur. La pièce sera présentée le 9 mai aux Espaces pluriels de Pau.
Oona Doherty attrape son public avant même l’entrée en salle. Elle l’invite à respirer, à s’arrêter un moment et à se donner la main. La danse tel qu’elle la conçoit est en prise directe avec les spectateurs ; ils peuvent ici s’asseoir en demi-cercle tout autour de la scène et être au plus près des interprètes. L’avertissement résume également la façon dont la chorégraphe a travaillé avec ses cinq danseuses, des amis à qui elle a proposé plus que de participer à un spectacle un véritable projet de vie qui s’étend, dans ses ramifications, jusqu’à la rencontre avec des femmes en prison ou enfermées. On pourrait aussi bien parler de thérapie tant il s’agit pour les interprètes de se libérer des poids qui pèsent sur le corps, des contraintes qui entravent le souffle. Le seuil a ici une double importance. Certains gestes semblent venues de rituels de purification et le cercle formée par les danseuses qui se donnent la main et s’agrippent les unes aux autres appellent à une sororité, une communauté sorcière.
Dans la pénombre rouge-orangée d’un tapis qui semble fondre, le corps crispé et le visage tordu des cinq danseuses créent une sensation de malaise. Le rire proche des larmes évoque dès le début une crise d’hystérie au sens le plus médical du terme. Étudiée par Charcot, puis par Freud, l’hystérie est une névrose où le conflit psychique s’exprime de façon corporelle que ce soit par exemple par des contractures ou des paralysies. Les femmes ont historiquement été associées à ces crises, fantasmées comme des moments de possessions mais en réalité symptômes d’un contexte d’oppression généralisée. L’atmosphère est tendue mais le propos n’est pas, malgré les costumes volontairement datées de proposer une archéologie des corps. Peu à peu les interprètes se relèvent et se réunissent dans une ronde qui témoignent de leur constante attention à l’autre. Elle se soutiennent et dessinent ensemble des lignes et figures aux contours très organiques comme autant d’horizons possibles et psychédéliques.
Les couleurs et les lumières, le flow rappelle l’écoulement d’une lampe à magma. La chorégraphie joue sur la successions de mouvements lents et rapides pour dilater le temps. En suivant la musique de David Holmes, on se laisse aller aux pulsations funk et à cette tentation primaire de battre la mesure. Les danseuses elles-mêmes répondent aux sons dans une grande liberté de mouvement qui touche à la transe. On se surprend à respirer moins régulièrement lors des improvisations jazz et de leur rythme hiératique. L’approche est en premier lieu sensible et sensuelle comme en témoigne les effets de matières douces, peau, velours ou tapis. Les interprètes dansent pour une grande partie au sol, semi-allongées ou en partie assises, dans un engagement très terrestre qui tient de l’affirmation de soi. Oona Doherty a avant tout choisi ses danseuses pour leurs présences et leur énergies et elles rayonnent. Lady Magma impose au delà des obstacles de l’extérieur une féminité solaire et débordante.
© Luca Truffarelli_60_HR PRESS