Le cadre est là, bien posé : celui de la Femis, la prestigieuse-école-à-lafrançaise (marque déposée), avec ses protocoles et ses rites – ce concours d’entrée, par exemple, qui donne son titre au film et fournit, au fil des épreuves, section par section, du scénario à la distribution en passant par la réalisation, jusqu’au grands oraux et à l’affichage des résultats, la trame narrative du film, qui a reçu le Prix du meilleur documentaire à Venise en 2016. On verra un appartement reconstitué de toute pièce où les aspirants metteurs en scène doivent, pour le concours, tourner un bout de film ; on verra une pléiade de distributeurs interroger ceux qui rêvent de leur succéder dans la carrière. Les métiers du cinéma, en un mot, avec leurs décors, leurs codes, tout un petit monde avec ses règles et ses logiques. Mais, même si le premier plan, filmé de l’intérieur de la cour, en plongée oblique, semble buter contre les grilles de l’école et délimiter une enclave bien balisée, même si la vie hors les murs ne semble exister que dans les récits des étudiants qui déroulent leurs vies face aux examinateurs, le film est autre chose que la radioscopie d’une organisation figée, ou le décorticage des rouages d’admission des candidats au sein d’un système immuable.
Car la Femis est un monde flottant, en perpétuelle oscillation entre deux pôles : celui de l’institution et tout ce qui peut la déborder. Mieux même : cette tension, à la fois fondatrice et féconde, est inscrite dans la nature même du lieu : « Il n’y a pas de cours, il n’y a pas de professeurs, sans doute trouverez-vous que pour une école, c’est un peu bizarre », lâche, comme un aveu, un responsable. En forçant à peine le trait, on fera l’hypothèse que la Femis, telle que filmée par Claire Simon, est une utopie : un lieu impossible, car comportant dans son essence même une contradiction. Celle d’une école qui intègre dans son fonctionnement tout ce qui, justement, échappe aux schémas scolaires voire les nie.
Ce que perçoit parfaitement le corps d’enseignants (qui n’en sont pas, soit dit entre parenthèses, mais sont tous réalisateurs, monteurs, distributeurs, etc.) On pense à cette séquence désopilante où une correctrice évoque le cas d’un étudiant manifestement surdoué, mais tout aussi manifestement peu doué pour les rapports sociaux : « Ce mec est un fou furieux », accuse-t-elle, « Cronenberg à 18 ans devait être barré » dira l’un de ses avocats, en guise de défense. C’est l’antique question du génie, de la singularité radicale, incompatible avec l’existence en groupe, avec ce collectif qu’est une école ou un film.
Toute institution à destination pédagogique, dira-t-on, connaît ces dilemmes. Mais la Femis est un cas à part, car ce qui s’y enseigne est foncièrement ce qu’il y a de moins scolaire : le divertissement. Et tout se passe comme s’il contaminait l’école. A l’image de l’épreuve du département scénario, où l’on tire au sort un bout de texte et où il s’agit de broder là-dessus. Le jury a recours à des critères d’appréciation esthétiques (l’embryon de scénario est-il réaliste ou non, cohérent ou non?), mais lorsqu’ils sont entre eux, sur le balcon, à tirer sur leurs clopes, ils parlent comme vous et moi à la sortie d’un film – comme des spectateurs et non des examinateurs.
La Femis ou le cinéma à l’école.