On se sent tout de suite chez soi devant ce film.
La Maison au toit rouge est une adaptation du roman éponyme de Nakajima Kyoko, brillant d’abord par sa clarté visuelle et narrative. La mise en scène, fluide, suit le récit que fait Taki, vieille dame autrefois au service d’une famille bourgeoise du Tokyo d’avant-guerre, des événements mémorables de cette période de sa vie. Flash-backs à l’appui, ce passé prend très vite corps, s’actualise sans détour. La maison du titre est d’emblée exposée comme un pur décor de fiction, dont l’intérieur confortable et chaleureux aura été, pour Taki et ses employeurs, la scène d’un petit théâtre quotidien.
Le cadrage souvent frontal, méticuleux, assigne à chaque personnage une place précise dans l’espace de cette maison, dans les pièces ou les couloirs où ils se trouvent. C’est bien de cela qu’il s’agit : de la place qu’occupe chacun dans une cohabitation bientôt placée sous le signe de la rivalité amoureuse. Car voilà que fait irruption dans ce foyer tranquille Ikatura, dessinateur travaillant pour l’entreprise de jouets de Masaki, le maître des lieux. Tokiko, épouse de ce dernier, montre dès l’apparition du jeune homme une attention ne laissant planer aucun doute, aux yeux de Taki, sur leur attirance mutuelle. La jeune servante sera d’abord spectatrice de leur relation, avant d’influer sur elle.
Mais le récit de Taki, qu’elle rédige à l’intention de son petit-neveu, Takeshi, au-delà de sa dimension autobiographique, est surtout pour elle l’occasion de témoigner de sa place réelle, dans la maison et dans l’histoire d’Ikatura et Tokiko. Longtemps confidente de sa maîtresse, à l’écoute de ses moindres conseils, la jeune femme gagne en personnalité à mesure qu’Ikatura prend part à leur quotidien. Si Masaki, dont l’aveuglement témoigne d’une étroitesse d’esprit toute patriarcale (il ne fait aucun doute qu’il aime sa femme et son fils, qu’il croit en la loyauté de ses employés, sans chercher plus loin que les apparences), reste une figure périphérique, Taki devient un personnage à part entière doté d’empathie et de désir.
Dès lors, le caractère très classique de la mise en scène montre toute sa force, puisqu’elle s’adapte, par le jeu du découpage, du champcontrechamp, de la profondeur de champ, aux fluctuations sentimentales des trois personnages principaux. Trouver une place aux yeux d’un homme, c’est en même temps conquérir une place privilégiée dans le cadre, s’approprier l’espace pour son propre intérêt. Invoquant la réputation de sa maîtresse, Taki finit même par oser lui bloquer le passage de la porte d’entrée lorsqu’elle tente de rejoindre son amant en partance pour la guerre. C’est ainsi que l’on parvient, en même temps que le jeune Takeshi, à revivre l’histoire d’amour par procuration de sa grand-tante au plus près des mots qu’elle aura écrits pour lui et des scènes que Yamada aura méticuleusement orchestrées pour nous. Tout, dans La Maison au toit rouge, se veut littéral, immédiatement accessible au regard et à notre déduction. Cette transparence est l’un des rudiments du bon cinéma populaire. Le roman de Kyoko Nakajima, La Maison au toit rouge, est disponible aux éditions du Seuil.