boire un verreCe fut jouissif ! Pour parler de Voir du pays  des soeurs Coulin, la sublime Ariane Labed m’a fixé rendez vous dans son QG, un hôtel calme et discret du 9ème  arrondissement. J’ai accouru. J’en rêvais depuis que je l’avais découverte dans Fidelio, l’Odyssée d’Alice.  C’est dans cet hôtel qu’elle séjourne à chaque fois qu’elle passe à Paris. Parfois, elle y habite pendant des semaines. C’est là que sa mère vient lui rendre visite. Comme ce jour là où elle est restée à quelques pas de nous, alors que nous prenions notre café et que sa fille se prêtait aussi à un shooting très particulier du photographe.Nous y reviendrons. L’hôtel est à quelques pas de la gare du Nord où elle peut repartir en vitesse chez elle à Londres, auprès de son époux, le réalisateur grec de The Lobster , Yórgos Lánthimos. Celui qu’elle appelle à de nombreuses reprises pendant que nous buvons notre café : « mon homme ». Ayant vécu une partie de sa jeunesse puis de sa vie adulte en Grèce, en Allemagne, Ariane Labed connaît mal Paris. Ce statut cosmopolite lui convient d’autant qu’elle ne veut surtout pas appartenir à la « grande famille du cinéma français ». « Toutes ces mondanités ne m’intéressent pas. J’aime être l’étrangère dans mon propre pays. Ça me rassure, me donne de la liberté. »  Son dernier film, dont elle partage l’affiche avec Soko, semble avoir été taillé sur mesure pour elle : Aurore est une battante magnifique, une militaire douce et dure, qui peine à dissimuler sa féminité sous son uniforme. Blessée en Afghanistan, avant de retourner chez elle, à Lorient, elle doit passer avec son escouade par un séjour de trois nuits organisé dans un hôtel cinq étoiles de Chypre. Là, au milieu des touristes en string, les soldats doivent recomposer au plus vite leurs souvenirs traumatiques à l’aide de logiciels de réalité virtuelle qui leur permettent,ou pas, de les évacuer (c’est l’une des questions soulevées par ce film passionnant, auréolé d’un Prix du scénario à la section Un Certain Regard à Cannes). Le rôle d’Aurore est physique comme les aime cette danseuse classique, cette performeuse. Ariane Labed aime les aventurières, il suffit de se rappeler son rôle de capitaine de navire passionnée dans Fidelio, l’Odyssée d’Alice . Comme Ariane, Aurore est, dans Voir du pays , toujours entre deux eaux, perdue entre l’Europe et l’Orient. « Certaines personnes me croient grecque vous savez. Je joue le jeu.»  Sa filmographie aussi est aventureuse : du burlesque d’Attenberg  où elle se contorsionnait dans tous les sens, au rôle de soubrette perverse dans The Lobster  jusqu’au dernier Grandrieux dans lequel elle plonge dans le SM. Bientôt, on la verra dans Assassin’s Creed , un film d’action avec Fassbender où elle pourra encore faire des prouesses. Rarement une comédienne aura su conserver sa grâce et sa féminité dans des rôles jusque là souvent confiés aux hommes. Au cours de l’entretien, elle ne me quitte pas de ses yeux gris-bleu. Ça me gêne. Pour le dissimuler, je replonge dix fois dans une tasse de café que j’ai pourtant finie depuis longtemps. Sans m’en rendre compte, c’est elle qui, l’air de rien, dirige la conversation, m’embarque où elle le désire: « Je n’avais jamais rencontré de militaires, et je vous avoue que je ne pensais pas avoir un jour à le faire. Je suis une gringalette. Il a fallu que je me muscle. J’ai découvert le maniement des armes et certains codes aussi. »  Au cours de la séance de shooting, notre photographe non plus n’a pas été insensible à son charme, poussant des cris d’orgasme, des éructations, ponctuant chaque photo de petits cris. Il m’avait même demander de filmer la séance. Souriante, acceptant le jeu, sous l’oeil de sa mère au bord de la crise cardiaque, Ariane Labed semblait s’amuser, visiblement ravie d’exciter notre jouissance scopique. On est repartis chez nous en sueur. Encore !

Photo: Franck Ferville