hors normesComme il est curieux d’intituler Hors normes un film aussi normé ! Comme c’est inconséquent !  Voire inconscient : c’est presque tendre le bâton pour se faire battre… Le « hors normes » du titre, c’est, on s’en doute, le comportement imprévisible des autistes  sévères que la souffrance rend souvent agressifs. Et dont le malaise fait qu’il est difficile d’en attendre un comportement social réglé.  Mais  le « hors normes »  caractérise aussi l’association fondée par Bruno (Vincent Cassel)  qui, parce qu’elle prend en charge les cas que les autres institutions refusent,  doit parfois s’écarter des règles administratives. Ce qui lui vaut de n’être pas homologuée et de subir un contrôle de l’Inspection générale des affaires sociales. Remarquons qu’on retrouve  ici le mépris – très populiste – des deux réalisateurs pour l’administration ; qu’on se souvienne, par exemple, de la menace  représentée par le contrôleur de l’Urssaf dans Le Sens de la fête

Mais cet « hors normes » revendiqué et claironné par le titre du film n’est pris en charge  ni par le scénario ni par la mise en scène de Toledano et Nakache. Le caractère incompréhensible et dangereux du comportement des autistes sévères n’est jamais montré. Il est certes évoqué, mais aussitôt relégué et évacué hors-champ (hors-normes ). Tout ce qu’on en voit à l’écran se réduit à un coup de boule, une fugue sur le périph et une inoffensive fixette amoureuse sur une collègue au travail. Rien donc qui mette  sérieusement mal à l’aise, rien qui fasse sentir le caractère irréductible de la souffrance autistique, rien de si  radicalement « hors normes » que cela. D’autant que ces « sorties de route »  semblent toutes miraculeusement s’apaiser quand surviennent Malik (Reda Kateb) ou Vincent – l’homme qui murmurait à l’oreille des autistes – Cassel. En somme, trop soucieux de consensus, trop attentif à ne mettre aucun spectateur mal à l’aise, trop calculateur, le film n’a ni la générosité ni l’hospitalité d’accueillir des comportements authentiquement dérangeants.

Ajoutons que Malik et Bruno sont d’une étonnante égalité d’humeur : toujours le sourire, toujours blagueur, jamais un écart, jamais une cuite, jamais un joint,  jamais un moment de colère, de doute ou de découragement, ce qui en fait des vrais JO du monde associatif et du spectacle de la charité. Les seules fois où ces braves gars sortent de leurs gonds , c’est précisément et paradoxalement pour ramener dans les clous –  dans les normes donc – les jeunes gens qui travaillent pour eux comme référents des personnes autistes ( car nos deux chevaliers blancs ne se contentent pas de sauver les autistes mais aussi les jeunes en difficulté auxquels ils donnent une chance de s’inscrire dans le monde du travail) : ils leur apprennent à ne pas être en retard, à développer leur vocabulaire (c’est-à-dire à ne pas employer le mot « kiffer » ! ), ils fêtent les diplômes qu’ils obtiennent etc,.  Tout ce beau monde est gluant de bonhommie et manque cruellement d’aspérités. D’autant qu’il est nimbé d’une esthétique publicitaire ripolinée, ouatée, duveteuse. Je mets au défi quiconque de me montrer la différence (dans la mise en scène) entre le « film » de Toledano et Nakache et une publicité pour SFR ou une campagne pour une ONG. 

Bref, Hors normes est un film qui surfe sur l’esthétique connecting people, un film beaucoup trop roublard pour être sincère, un film qui ramène impitoyablement dans la norme le « hors normes » qu’il prétend pourtant protéger et chanter.