Des corps de ballet en justaucorps noir et blanc redessinent Kandinski sur Rachmaninov. Un duo graphique réinvente le pas de deux sur Stravinski. Un ballet théâtral conte le récit des migrants. Comme les Histoire(s) du théâtre de Milo Rau, le spectacle offert actuellement à Chaillot par la Sao Paulo Dance Company nous fait traverser plusieurs récits possibles de la danse, en moins de deux heures. En enchaînant les chorégraphies d’Uwe Scholz, Marco Goecke, et Joëlle Bouvier, cette compagnie, sous l’égide d’Inês Bogéa, déploie sa force et sa virtuosité. Ainsi ouvre le spectacle, la Suite pour deux pianos d’Uwe Scholz. Ecrite en 1987, cette pièce peut se voir avant tout comme un hommage au dessin de Kandinski, nous plongeant, par les corps, au sein des lignes. Quatre oeuvres se succèdent en fond de scène, et rythment les différentes parties. Très structurée, cette pièce se présente comme une série de tableaux vivants, mais qui permettrait au spectateur de retrouver le geste créateur de Kandinski, de rejoindre l’instant où le peintre traçait la ligne première. Aérien et épuré, la danse permet aussi d’épouser au plus juste les mouvements du piano de Rachmaninov, tout en ne vidant pas la scène de présences charnelles : la compagnie brésilienne confère à ce spectacle une sensualité inédite. 

La pièce suivante, L’Oiseau de feu, pas de deux, d’Igor Stravinski, reprend le principe géométrique exprimé dans la chorégraphie de Scholz, mais le mène plus loin. Marco Goecke, définitivement un des chorégraphes les plus stimulants et audacieux aujourd’hui, signe là un bref. Un homme et une femme, dans un jeu en rupture avec la majesté du final de Stravinski, se doublent et se dédoublent, multipliant les personnages en quelques gestes, Ivan Tsarevitch, le magicien Koschei, mais aussi l’oiseau de feu, en nous plaçant dans un lieu à mi-chemin de l’humain, du tribal, et de l’animal. 

Enfin, Joëlle Bouvier compose une vaste fresque sur les migrants, cherchant à reproduire leur épopée méditerranéenne, et contemporaine. Un très beau duo, digne de Roméo et Juliette, permet de révéler les deux jeunes premiers danseurs de la compagnie. Et les dernières minutes, suite de gestes sur un très beau poème de Vinicius de Moraes,  ont fait vibrer la scène de Chaillot, d’une solennité et d’une juste émotion. 

Sao Paulo Dance Company au Théâtre National de Chaillot jusqu’au 20 avril.