Donbass se regarde comme on feuillette un livre d’images – mais plus Les Désastres de la guerre qu’un livre d’heures. Une dizaine de séquences, enchaînées comme autant de chapitres, prend le pouls (fébrile, convulsif) des années 2014-2015, à l’éclosion de la guerre dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine, entre séparatistes pro-russes et défenseurs de l’unité ukrainienne. Atrocités par tombereaux. Comme cet infortuné partisan ukrainien, collé à un poteau en pleine ville, et livré, façon Christ aux outrages, à la vindicte des séparatistes. Abjection du quotidien gangrené par la guerre : un pauvre type, un peu lent des neurones, se voit confisquer manu militari sa voiture. Jeu incestueux des médias entre le vrai et le faux, avènement de l’empire des fake news. Témoin la scène d’ouverture qui donne littéralement à voir les coulisses de la manipulation des infos, les figurants/témoins d’un attentat/mise en scène se maquillant avant le reportage.
C’est accablant, mais le plus troublant est ailleurs. Dans la façon dont ces événements semblent épouser quelque chose comme un ordre. Semblent revêtir un sens. Semblent seulement. Ainsi la partition des camps : on met quiconque n’est pas docteur en politologie au défi de mettre une étiquette séparatiste ou loyaliste sur les personnages. Et pourtant, c’est évident, deux forces antagonistes s’affrontent. Ou encore, la continuité narrative : oui, la dizaine d’épisode se succèdent avec fluidité, on passe de l’un à l’autre notamment par le biais, très romanesque, de personnages récurrents. Effet de structure, mais ça raconte quoi ? Où va le récit, sinon dans le mur de la guerre ? Supplice de Tantale : le film nous promet sans cesse un sens, qu’il nous dérobe toujours. Et c’est ce qu’il y a d’angoissant dans l’Histoire et ses événements , ce sentiment qu’il y a une logique derrière, et l’incapacité concomitante à l’appréhender, à le dégager de la gangue des faits. Donbass ou les limites de l’esprit face à l’Histoire.