metamorphosesUne forêt. Une jeune femme rousse, dans le plus simple appareil, procède à ses ablutions. Arrive un chasseur. Gros plan sur les yeux de l’intrus. Celle dont il a surpris l’intimité se défend avec les moyens du bord : elle l’éclabousse. Des perles d’eau retombent. L’homme terrorisé s’enfuit. Il se transforme en cerf. C’est Actéon, victime de la colère pudique de Diane. C’est aussi un épisode fameux du grand poème feuilleton d’Ovide, Les Métamorphoses, dont Christophe Honoré trousse une adaptation aussi enlevée qu’intelligente. Et, enfin, c’est un condensé du film. De sa fluidité essentielle, le propre des métamorphoses, de ces glissements d’un règne à l’autre. Rapidité du récit, élément liquide (récurrent dans le film), souplesse des enchaînements et du montage : la séquence Actéon, placée au seuil du film, annonce le reste.

Il y a Philémon et Baucis, le vieux couple attendrissant transformé en arbres par Jupiter, le téméraire Penthée, déchiqueté par les adoratrices de Bacchus, Junon et ses rancoeurs terribles de femme trompée, Orphée le poète mystique… Autant d’histoires placées sous le signe de la métamorphose et se dépliant au gré des aventures d’Europe, la jeune fille enlevée par Jupiter, Don Juan impénitent, tel que l’a fixé une longue tradition mythologique. Ni toges à la Ingres, ni casques ailés pourtant ici : Christophe Honoré n’a cure du bric-à-brac antiquisant, il situe son film ici et maintenant. Zeus, pour séduire Europe, n’est plus le taureau couleur de neige du poème d’Ovide, mais un semi-remorque. Pourtant, nul effet de distanciation ironique ici, nul décalage parodique via l’anachronisme. Lorsque le camion, dont le conducteur reste invisible, clin d’oeil peutêtre au Jupiter du cinéma qu’est Spielberg, tourne autour d’Europe sur un terrain de sport, qu’il sort du plan, y rentre à nouveau, menace et mystère se conjuguent dans ce qui apparaît comme un rituel de prédation érotique, avec une jeune fille livrée à une puissance monstrueuse. Le film passe sans à-coups de l’héritage antique à la modernité de la machine, de la banalité contemporaine d’un terrain de sport à la présence majestueuse, immémoriale de la puissance divine… La fluidité, c’est d’abord cette capacité à circuler avec aisance d’un temps à l’autre.

Ou d’un médium à l’autre – du texte à l’image, du discours à la vision. Car si on ricoche d’une fable à l’autre, c’est grâce aux conteurs improvisés peuplant le film. Jupiter raconte à Europe l’histoire d’Io, Orphée rappelle à la petite troupe de ses disciples la conquête d’Atalante par Hippomène… Et très vite les images se substituent aux mots, faisant éclore les scènes qu’ils racontent : pas de séparation entre les mots et les images, les unes prennent naturellement le relais des autres. On verra Io métamorphosée en génisse, Hippomène et Atalante dans l’élan de leur course amoureuse. Christophe Honoré nous montre d’abord ceci : une matière verbale changeant de nature, s’incarnant en images. Comme un scénario ou un livre deviennent film…

Christophe Honoré s’est réinventé : oubliez le chevalier blanc de la post-Nouvelle Vague des Chansons d’amour ou des Bien-aimés. En un film, avec des acteurs pour la plupart non professionnels, il s’est métamorphosé. Mais persiste une constante chez lui : l’exploration de l’amour, la volonté de connaître les jeux d’attraction et de répulsion des sens et des coeurs. Rien de plus érotique que ces rencontres entre les hommes et les dieux, que ces corps se livrant les uns aux autres. C’est sans doute ce qu’il y a de plus fluide dans le film : la circulation de l’onde du désir, passant d’une histoire à l’autre, des hommes aux femmes, des Olympiens aux mortels.