terre de rosesElles sont assises autour d’un feu de camp, se brossent les cheveux, éclatent de rire. Des femmes au bain ou à la cuisine, à qui notre sexisme inconscient prêterait volontiers des discussions à propos de peines de c?ur ou de secrets cosmétiques. Les sous-titres lèvent le voile sur leur sujet de conversation : leurs armes, leurs techniques de combat. Ce qui les fait rire ? Les façons dont elles se feraient exploser au milieu des soldats de Daesh. Pendant plusieurs mois, la cinéaste d’origine kurde Zaynê Akyol a suivi un bataillon armé du PKK composé exclusivement de femmes, qui représentent 40% des effectifs du Parti des Travailleurs du Kurdistan. Engagées volontaires, souvent très jeunes, les recrues passent plusieurs mois dans les montagnes du Kurdistan, occupées par le PKK. Là, elles enchaînent entraînements, courses, exercices, baptisent leurs armes, apprennent à en prendre soin et rêvent de rejoindre les lignes de combat irakiennes ou syriennes. « J’ai appelé mon arme Patience, confie une jeune fille, parce qu’elle m’apprend la patience » : le PKK n’envoie pas ses soldates au combat sans leur avoir prodigué une formation à la fois physique, philosophique et intellectuelle. Sozdar Cudî, cheffe du bataillon, tireuse d’élite, a une longue expérience de la guerre. Face caméra, elle dispense les bases de la philosophie du parti, paraphrasant le « Connais-toi toi même » socratique : les raisons du combat sont féminines, et même féministes. En prenant conscience de leur rôle dans la société, en développant leurs muscles, en revendiquant leur solidité, elles s’élèvent face à Daesh, ennemi de leur liberté et de leur intégrité. Les combattantes du PKK ne sont pas filmées au feu des combats, c’est la force du documentaire. La caméra les suit surtout au cours de cette période d’attente et de formation, s’attarde sur la personnalité de chacune. Zaynê Akyol filme longuement une jeune recrue, Rojen, beauté déchirante, très gaie, nouant un foulard coloré autour de son front, déclarant avec l’aplomb de ses vingt-trois ans que le mariage fait toujours le malheur des femmes, avant d’évoquer son incapacité à dire au-revoir à sa mère le jour de son enrôlement secret dans les rangs du PKK : « Je ne peux pas prononcer le mot mère sans me mettre à pleurer. » Derrière chaque femme se dévoilent ainsi plusieurs visages du féminisme : le documentaire est un kaléidoscope, embrassant la complexité et la force des engagements. Le bataillon des femmes descend au front. Plutôt que de montrer frontalement la violence, Zaynê Akyol filme longuement Sozdar au réveil, se passant de l’eau sur le visage avant de sortir pour se battre. La belle et vive Rojen a déjà quitté l’écran, partie sans doute combattre sur une autre ligne. Elle est morte désormais, comme la moitié des héroïnes de Terre de roses. Des morts inadmissibles, reflet de l’immense violence faite aux femmes par l’Etat islamique, plaidoyer pour leur riposte.