madame favartMadame Favart
De Jacques Offenbach, direction musicale Laurent Campellone, mise en scène Anne Kessler, avec Marion Lebègue, Christian Helmer, Anne-Catherine Gillet….Opéra Comique, du 20 au 30 juin 

 

Ringard, le mariage ? Terne, le bonheur conjugal ? Peut-être… mais voilà qui, pour Offenbach en tout cas, ne constitue aucunement une fatalité. Ce n’est pas que le compositeur de La Vie parisienne soit conservateur ou pudibond ; on le sait volontiers impertinent et égrillard. C’est plutôt qu’il envisage le mariage comme une création artistique commune. Jugez en plutôt : « je cherche…. et vous trouvez » déclare Favart, le directeur de théâtre, à Justine, sa comédienne de femme. N’est-ce pas une splendide définition du mariage ? Celle-ci intervient au moment où, réfugiés dans une auberge d’Arras pour échapper au Maréchal de Saxe qui s’est infatué de l’actrice (il fut déjà l’amant d’Adrienne Lecouvreur), les époux cherchent un moyen de s’échapper. Leur périple les conduira un peu partout dans le nord de la France, de Douai à Fontenoy. Ils devront se séparer, se travestir, affronter les malentendus, se jouer des imbroglios jusqu’à ce que, enfin, grâce à l’intervention du roi, l’amour les réunisse… et que Charles Favart se voit offrir les clefs de l’Opéra Comique. 

Si l’amour finit par réunir les amants, ce n’est pas que, chez Offenbach, l’amour doive toujours triompher. En aucun cas. C’est plutôt que Justine, la comédienne, et Charles, le dramaturge, s’aiment parce qu’ils créent ensemble et….créent ensemble parce qu’ils s’aiment. « Moi d’abord, pour que l’inspiration me vienne, il me faut ma femme ! » se lamente Favart, une nuit, près d’un feu de camp, alors qu’on lui enjoint de composer des vers à la gloire de la soldatesque. On l’a compris : chez Offenbach  la tendresse marche main dans la main avec l’improvisation, l’espièglerie, le jeu. Et l’allégresse et la fraîcheur s’habillent volontiers d’une pointe de mélancolie qui en approfondit le charme et que porte à merveille ici un petit orchestre mozartien (un hautbois, deux bassons, deux cors) dirigé avec sureté et suavité par Laurent Campellone. De manière générale, cette production de Madame Favart rend justice à toutes les tonalités de l’oeuvre d’Offenbach et de ses librettistes : on passe en un tour de main du grivois au sentimental, du romantique au vaudeville, de l’opérette au baroque, et tout cela avec le plus grand naturel. On applaudit la façon dont la mise en scène d’Anne Kessler relève les polissonneries et les coquetteries de l’opéra sans jamais – merveilleux équilibre ! – être triviale, vulgaire ou hâbleuse. 

Peut-être que si l’opéra-comique d’Offenbach réussit si bien à la sociétaire de la Comédie Française, elle qui interpréta Beaumarchais et Feydeau (à qui on pense souvent ici), c’est que Madame Favart brosse un merveilleux portrait d’actrice. Qu’elle est éblouissante en effet  cette Justine Favart qui allie courage, spontanéité, malice et dévouement, cette Justine Favart si généreuse de son talent, cette Justine Favart qui ne cesse d’apprendre le théâtre à son mari, cette Justine Favart aussi spirituelle que charnelle ! Et que son interprète (Marion Lebègue, déjà admirée dans La Nonne sanglante de Gounod) est étincelante ! Un somptueux portrait d’actrice donc, mais aussi, tout simplement,  un hymne à la femme. A la fin de la pièce, le marquis de Pontsablé, s’avouant vaincu, s’écrie : « Madame, vous êtes un démon ! » Favart, aussitôt, modifie : « un ange, monsieur ! », et Justine corrige : « ni l’un ni l’autre, une femme seulement ! Et c’était bien suffisant pour vous vaincre ! ».  Peu avant, un subtil jeu de miroir projetait l’image de Madame Favart  dans le paradis … de la salle Favart. Un paradis qu’elle rejoint enfin, plus de deux cents ans après la première création de l’opéra au Théâtre des Folies-Dramatiques. Aucun doute : elle l’habitera désormais durablement. Nous ne manquerons pas de venir la saluer chaque fois que nos pas nous mèneront dans la belle salle – désormais complètement ré-enchantée – de l’Opéra Comique.