gaspardQue raconte ce film? Difficile à dire, et c’est une bonne nouvelle. Pourtant le titre ne ment pas tant que ça sur la marchandise. Gaspard (Félix Moati) se rend effectivement à un mariage, celui de son père. Mais, arrivant dans le domaine familial, il apprend que Peggy, putative seconde épouse, a renoncé. Ce qui, en d’autres lieux cinématographiques installerait un enjeu suffisant : changera / changera pas d’avis. Sauf qu’on s’en fout un peu, de ce mariage. On s’en fout tellement que personne n’objectera à ce que le frère de Gaspard, Virgil (Guillaume Gouix), et sa compagne tatoueuse et tatouée convolent finalement à la place du père – et héritent des cadeaux à lui destinés.

Entretemps d’autres enjeux sont apparus sans remporter le marché des enjeux : la jalousie incestueuse de la soeur de Gaspard à l’endroit de Laetitia qu’il a entraînée dans cette galère ; le glissement vers l’amour vrai de ce couple d’abord faux ; les animaux du zoo familial attaqués à mort par des chiens sauvages ; la vente prochaine dudit zoo, et ce qu’elle induit de changements pour la famille. Rien de tout cela ne fait un drame. Rien ici ne fait drame ; ne fait scénario.

Sans scénario, un film ne tient pas, dirait un producteur émérite. Pour preuve, celui-là ne tient pas. Ne tient pas debout, manquant parfois de se vautrer. Ne tient qu’au zoo. Les meilleurs parmi nous, qu’ils s’appellent Dumont, Guiraudie ou Ameur-Zaïmeche ont confirmé, d’année en année, qu’un cinéaste français n’échappe à la malédiction académique que s’il trouve à se déporter. Le zoo qui offre son cadre au troisième long métrage d’Antony Cordier, trop longtemps absent depuis les deux précédents, est cette zone méconnaissable qu’un film épris de fuite doit rallier et explorer. On ne reconnaît pas cette famille bancale, dévouée à la survie de sa ménagerie. Ni ce père – déjà rendu étrange et étranger par l’accent flamand de Johan Heldenbergh – s’immerger à poil dans un aquarium emplie de petits poissons au nom inconnu pour soulager son eczéma. Ni ces vautours qui dévorent sans pitié les poussins qu’on leur jette en pâture. Ni ce manchot médium (même pour de faux).

Inidentifiable

Ce film inidentifiable excède les genres, mais possède, de la comédie, l’essentiel : la proximité animale. Qui s’avance dans la drôlerie met un pied dans l’animalité. Une bonne comédie tend au bestiaire. De cette hybridation, la soeur à peau d’ours (Christa Théret), et qui renifle la nouvelle venue, est la figuration centrale. Mais ses frères, père, belle-mère, empruntent aussi à l’animal son opacité, sa présence sans référence. Irréductibles à une fonction à une typologie sociale ou psychologique – le père est un grand enfant, la mariée ne veut pas se marier, le fils a détalé – ils s’avancent dans le film comme le bébé tigre échappé de sa cage s’avance sur la terrasse, puis dans le salon : en inventant leur trajectoire à mesure.

Cordier navigue à vue, à rebours des films qui voient trop bien où ils veulent en venir. Christa se réveille du sommeil où l’a plongée l’aiguille endormeuse tirée à la carabine par son frère, et s’avance dans le salon. Va-t-elle se venger ? Incriminer son frère et l’agonir de cris? Non, elle a très soif, passez-lui une bouteille, cut. Et après le cut : elle joue aux cartes avec les trois autres dans ce même salon. Mieux qu’aux cartes : au Mille Bornes. Une affaire de route, encore, et de sortie de route.

Que le film soit plus écrit qu’il n’en a l’air, pas de doute. L’important est qu’il semble écrit au petit bonheur, sans balises, sans rien s’interdire. Cordier a, du libertaire, le sens du caprice. Par le cinéma il s’offre un monde comme on s’offre un week-end.

Quelques flashs rétrospectifs nous apprennent que l’enfant Gaspard s’amusait à inventer des objets inédits : un gratte-nombril, un bouchon de champagne parachute, un bébé-nettoyeur, et la géniale grille à gratter le dos. Comment se tricote un film s’il s’interdit les coutumières ficelles identificatoires? Il se tricote de maille en maille, tâchant de s’inventer à chaque scène. Ainsi on ne défend bien Gaspard va au mariage qu’en le décrivant. Et puisque le décrire prendrait une heure quarante-cinq, on se contentera de son ouverture. Un X et une Y doivent se rencontrer pour que le récit s’engage. Comment se rencontreraient-ils ? Dans un train ? Banal, déjà vu, Cordier fait mieux. Gaspard est dans un train arrêté sur la voie, il descend pour s’enquérir de ce qui bloque, trouve Laetitia menottée aux rails parmi un groupe de militants écolos. Il la détache car elle a soif, l’invite à bord pour qu’elle s’hydrate. Elle qui n’est pas une vraie militante, qui s’était improvisée telle pour profiter du café des militants, accepte maintenant de s’improviser compagne de Gaspard le temps d’un week-end, puisqu’il le lui demande. Ca lui est venu comme ça, elle accepte tout ça. Seule les lie, lors, une disposition d’esprit. Une disposition à l’inédit ; à la comédie. Des personnages joueurs dans un film aussi joueur que le chat qui court après sa queue.