Le vieux routier du cinéma engagé ne désarme pas. Ken Loach persiste et signe à gauche avec cet Esprit de 45, beau docu intelligent sur les victoires des travaillistes anglais au sortir de 39-45. La lutte sociale n’est pas une métaphore: L’Esprit de 45, ce sont des nouvelles du front progressiste où l’on se bat comme sur un champ de bataille. Ken Loach ou le fighting spirit…
Pour la cuvée 2013, Ken Loach signe un documentaire en forme de cours d’Histoire sur les réformes menées par les travaillistes anglais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce serait une erreur de croire le cinéaste assagi au point de se contenter d’un cours magistral : Loach systématise et prend à la lettre l’expression de lutte sociale, en montrant qu’elle découle précisément de la guerre elle-même et que les conquêtes des travaillistes sont littéralement des opérations de mobilisation.
L’Esprit de 45, c’est donc celui de la lutte solidaire de tout un peuple. Au lendemain du conflit, galvanisés par la victoire, les Anglais sont prêts à continuer ensemble un combat égalitaire dans un souci social. Pour preuve, les travaillistes remportent une victoire écrasante contre les conservateurs et leurs thèses néolibérales. Loach revient sur chaque victoire remportée par les travaillistes au lendemain de la guerre et pratique une ellipse jusqu’à leur défaite cuisante face aux conservateurs de Thatcher en 79 et aux dérives de la deuxième gauche de Tony Blair. Avec ses intertitres édifiants greffés sur des archives à la manière de tracts, le cinéaste s’inscrit dans la continuité de ces combats au cours desquels ont été remportées quelques batailles décisives pour la nationalisation des grands services (eau, gaz, électricité, mines, docks, santé). Il égrène son propos de nombreuses images d’archives souvent violentes pour rappeler l’histoire de cette lutte continuelle : il montre Churchill hué par les jeunes, l’Etat policier de Thatcher en prise avec des manifestants furieux. Dans un document que l’on croirait sorti d’un journal télé des années 80, un gréviste furieux, cadré en plan américain devant son usine, explique aux journalistes qu’il ne baissera pas les bras et continuera à se battre pour préserver ses acquis sociaux. Loach fait en sorte de marquer chaque avancée sociale comme un combat remporté de longue lutte: ainsi il rappelle que les ministres avaient été calomniés par la presse comme des suppôts soviétiques.
Appelés en renfort, filmés en noir et blanc tels des vétérans, les intervenants (dockers, mineurs, infirmières) se succèdent et se joignent au combat pour se faire les témoins de cet esprit d’entraide. L’un d’entre eux déclare que les nationalisations étaient présentées comme des objectifs militaires. Une infirmière craint aujourd’hui la privatisation du National Health Service. Un intervenant inscrit ces combats dans la continuité des grandes révoltes britanniques, remontant jusqu’aux diggers chrétiens de la première révolution du XVIIe siècle. La lutte étant à mener sur tous les fronts : des économistes contestent également les thèses néolibérales. Bien qu’il n’en soit jamais fait mention, Loach a en ligne de mire, dans son viseur, l’actuel esprit des travaillistes qui, depuis les années 90, ont renoncé à toute politique collectiviste.
Avec la victoire des conservateurs en 79, c’est une mentalité – mais aussi toute une époque – qui se serait perdue. Cet esprit, c’est d’abord celui de la lutte des classes que le vieux cinéaste, décidément indocile, entend poursuivre.