favorite

 

Yorgos Lanthimos, qui faisait la couverture de Transfuge l’an dernier pour Mise à mort du cerf sacré, revient avec La Favorite. Un beau film sur le pouvoir malgré quelques faiblesses. 

Si La Favorite était le premier Lanthimos vu, on en sortirait en se demandant quel petit génie, grec de surcroît, nous arrive là. Or n’est pas vierge qui veut, on a des heures de vol, on a suivi le dossier, et alors on compare à Alps et Mise à mort du cerf sacré, les deux sommets à ce jour, et on conclut : oui d’accord mais moins. Tout moins. Moins drôle, moins inventif, moins sidérant, moins gênant. Là où il y a moins de gêne, il y a moins de plaisir. 

Pourtant l’art de Lanthimos a résisté à la malédiction du costume, nom scientifique désignant le glissement académique de 91 % des cinéastes embarqués dans un sujet historique. Au contraire le costume lui va bien. Les tenues corsetées de la cour du royaume d’Angleterre, la raideur des postures d’autorité, le faste châtelain, les hauts plafonds, les profondeurs sans fond, lui sont un décor idoine pour installer son théâtre de la déréliction, de l’affaissement. Seul vacille celui qui se tient debout. Seul tombe celui qui est dressé. 

Un corps qui tombe n’est que justice. La chute est un rétablissement – de la vérité. De cette vérité des corps qui s’appelle la gravité. C’est la station verticale en soi qui est un mensonge, car le réel n’est pas vertical, il est penché, tordu, plié. Partant, celui qui prétend se tenir debout n’est pas bien net. Il a quelque chose à cacher, une folie à contenir. La maîtrise est la rétention d’une folie. Et l’ordre est un des trompe-l’oeil, le plus pathologique sans doute, du désordre. 

Analogiquement, la folie n’est pas une déviance du pouvoir. Le pouvoir est en soi une déviance. Tous les rois s’appellent Ubu. Impeccablement incarnée par Olivia Colman, la reine Anne a sans doute son petit grain, ses petites obsessions (ne pas zozoter ses discours), ses petites toquades (clapier plein de lapins dans sa chambre), ses grosses casseroles (dix-sept fois enceinte et toujours pas d’héritier, d’où les lapins substitutifs), elle est sans doute particulièrement fragile (goutte) et influençable, mais on note que le royaume ne se trouve aucunement ébranlé par sa débilité. Si la périphrase « dernière des Stuart » diffuse un parfum de décadence, elle est trompeuse : l’Angleterre a le monde à ses pieds, et la guerre en cours contre la France sera une formalité juste un peu coûteuse. Il faut tourner les choses autrement : la décadence n’est pas un moment tardif du pouvoir ; même à son faîte, le pouvoir EST décadent, il l’est toujours déjà, comme Anne apparaît dérangée dès l’ouverture. Les perruques du bas dix-huitième, celles dont notre roi des rois à nous s’exhausse et s’affuble, sont d’emblée disproportionnées. Elles sont immensément risibles par l’immense respect qu’elles entendent imposer. Lanthimos rit, qui ne respecte rien.

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