grace a dieuDire que l’on n’attendait guère François Ozon est un euphémisme, notamment après L’Amant double, hommage risible aux films de De Palma et de Cronenberg. Mais la réussite de Grâce à Dieu est quasi totale. Pour une raison simple : le réalisateur s’en tient pendant les deux tiers du film aux seuls faits. Il bâtit son récit en puisant dans les dossiers de l’affaire Preynat (prêtre accusé par de nombreux hommes d’attouchements pédophiles) et du cardinal Barbarin (qui l’aurait protégé pendant de longues années), lequel vient d’être jugé et dont le verdict tombera le six mars prochain. 

L’ouverture du film est sans équivoque. Au lieu d’exposer ses personnages, de les camper dans leurs milieux pour faire peu à peu surgir le récit, comme dans n’importe quel film-dossier, Ozon débute sous une forme épistolaire par un long échange de mails. Celui que l’une des victimes du père Preynat a eu en 2014 avec le diocèse de Lyon pour les informer des sévices qu’il subit quand il était scout entre 1988 et 1991. Le mot «pédophilie» est prononcé immédiatement, dès la première image. Ce qu’Ozon nous donne à entendre, par le truchement de la voix off qui lit les mails, c’est exactement ce dont dispose la justice : les mots prononcés par les différentes parties du dossier. Grâce à Dieu est un film sur la puissance des mots, qu’il s’agisse des victimes libérant leur parole ou des arguments utilisés pour défendre les intérêts de ceux qui sont accusés. Cette attention aux mots est si rigoureuse que pour la première fois Ozon n’a pas besoin de fabriquer des provocations pour susciter un rire empreint de malaise. Les mots seuls y suffisent. Ils trahissent la gêne d’une église cherchant à étouffer l’affaire quand le Cardinal Barbarin explique à une victime «Ne parlez pas de pédophilie mais d’actes pédosexuels». Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que le film porte ce titre-ci qui fait référence à une autre phrase prononcée par Barbarin en conférence de presse pour se féliciter de la prescription qui touche les crimes pédophiles. Lapsus ou provocation, la formule «grâce à Dieu» se fait ici entendre dans son contexte. Ce que parvient donc à montrer Ozon, c’est que dans un dossier d’instruction, les mots sont des faits. Ce sont des actes. Malheureusement, le démon de la dramaturgie savante et de l’image choc (qui la soutient) finit par le reprendre à mesure que d’autres témoins se joignent à ce premier lanceur d’alerte pour bâtir ensemble l’association La Parole libérée. Si le cadre demeure toujours d’une grande rigueur, la caméra vissée aux visages et surtout aux bouches des différents acteurs du dossier, le cinéaste finit par alourdir sa sécheresse documentaire de flashbacks réinventés et malvenus. Il grime Preynat en sadique diabolique affublé de lunettes fumées et leste son film d’un discours attendu. Mais ne lui en tenons pas rigueur car malgré ces quelques affectations, Grâce à Dieu est un très grand film choral sur la parole.