wolfL‘idée de base de ce premier long métrage est à la fois simple et profondément cinématographique. Shahrbanoo Sadat nous emmène dans les villages isolés des montagnes Afghanes où elle a vécu durant sept années. Elle nous montre d’autres vies que les nôtres. Nous suivons des enfants bergers, occupés toute la journée à surveiller des troupeaux de moutons, les promener à l’air libre, les traire, ou encore les protéger des loups. Tous âgés d’une dizaine d’années, livrés à eux-mêmes, ils travaillent, jouent, se racontent des fables. Ils commencent à s’intéresser au sexe opposé mais n’ont pas la permission de l’approcher. Des amitiés garçon-fille se tissent néanmoins en cachette. Leurs parents, quant à eux, échangent les bêtes contre d’autres aliments.

Avec un style proche du documentaire, mais restant toujours dans la fiction, Wolf and Sheep observe l’interaction entre l’homme et son environnement. Tout se passe en extérieur. Le paysage est ainsi tour à tour un lieu de travail, un terrain de jeu ou de drames, un espace de discussion propice aux confidences ou aux disputes. C’est en pleine nature que se règlent les affaires, à travers le troc quand il s’agit de ventes, ou à travers la négociation lorsqu’il s’agit de litiges. Dans ces montagnes coupées du monde, il n’y a pas d’école. Il y a donc beaucoup d’ imaginaire et de fantasme. Dans les légendes locales, les animaux environnants ont des super-pouvoirs, peuvent punir les humains des pêchés qu’ils commettent.

La cinéaste afghane parvient à nous immerger dans cette routine à ciel ouvert. Sa caméra est un personnage à part entière qui se balade parmi et en compagnie des hommes, un peintre impressionniste qui décrit leur quotidien avec le plus de précision et de rigueur possible, un témoin qui emmène et captive le spectateur sur place.

Les instants les plus étonnants du film sont ses scènes nocturnes. Durant quelques secondes, alors que les villages sont endormis, les créatures fantastiques des fables racontées prennent vie à l’écran. Une fée mystérieuse et un loup géant déambulent dans le décor assoupi. La mise en scène s’autorise une échappée dans l’onirisme, pour symboliser les cauchemars qui peuplent le subconscient de ces paysans.

Exigeant et dépouillé, ce cinéma fascine par son honnêteté et son humilité. Shahrbanoo Sadat n’utilise jamais ses personnages pour faire passer un « message politique », ne les manipule pas pour « dire quelque chose » à travers eux, elle les laisse simplement exister à l’écran, donne à voir leurs visages, entendre leur langue, contempler leur monde, écouter les bruits qui rythment leurs journées. Elle jette une lumière sur des existences ignorées.