americanAmerica, America… Après la banlieue londonienne de Fish Tank, et l’adaptation des Hauts de Hurlevent, la britannique Andrea Arnold traverse l’Atlantique et arpente pour la première fois les routes du Midwest, du Kansas jusqu’au Nebraska, sur 34 000 kilomètres. Elle nous convie à un voyage en car, au côté de Star (Sasha Lane dont c’est le premier rôle) une adolescente white trash en rupture avec sa famille et qui a choisi de rejoindre un groupe itinérant de vendeurs de magazines. Très vite Star a le béguin pour Jake (Shia LaBeouf), un vendeur plus expérimenté qu’elle au grand dam de Krystal (Riley Keough), la chef du groupe. Pour réaliser American Honey, Andrea Arnold a expliqué avoir voulu retranscrire sa propre expérience de la route aux USA. C’est tout le sel de ce road trip mental, celui qui faisait déjà le prix de son adaptation des Hauts de Hurlevent. Arnold pratique un cinéma impressionniste, émaillé de visions et de sensations, un cinéma au plus près de son personnage principal. Si bien qu’American Honey n’est pas, comme son résumé pourrait le laisser présager, un film de troupe. Bien au contraire. Arnold fait corps avec la boudeuse Star. Elle ne la quittera jamais. La caméra est le prolongement de la jeune fille. Elle tressaute avec elle, accompagne son regard. Si bien que du groupe, on ne verra que ce que Star veut et peut bien voir. Les seules réelles scènes de liesse ont lieu dans le car quand Star ne peut s’éloigner de ses camarades. Pour le reste, on assiste moins à des scènes de fêtes débridées, alcoolisées, qu’à des bribes de visions. Un garçon nu, couvert de sang, hurle du haut d’un camion, des flammes jaillissent de l’obscurité de la nuit comme un décor dans les ténèbres, des cannettes sont écrasées, des fumées de joint exhalées, des gamines dansent derrière une fenêtre. American Honey est un film de visions, parfois insensées car très morcelées. La somme de ces instantanés compose des tableaux et fournit surtout des impressions fugaces de grands moments vécus. Car le grand défi du cinéma d’Arnold a toujours été de recueillir et de saisir des traces, des bribes d’images semblables aux souvenirs d’une mémoire altérée par l’alcool et la fatigue. Ici, chaque plan aussi bref soit-il, est composé avec les éléments environnants : le ciel, le soleil, le vent, les hautes herbes. La route de Star est cosmique. Au plus proche de son héroïne qui passe son temps à fuir le groupe, les autres gamins sont moins des personnages que des mystères. On ne saura presque rien de cette jeune fille aux cheveux courts qui regarde un garçon aux cheveux longs lui chanter la sérénade. On ne saura rien de la costaude taillée en brosse qui a l’air d’aimer faire la fête. On ne saura rien de cette Amérique invisible dont les prairies sont immergées de sang. On n’en saura pas plus des intentions de ces trois vieux cowboys qui, au cours d’une scène incroyable, saoulent Star au Mezcal. Difficile de se faire une idée de la situation, sinon imaginer ce qui pourrait advenir. Aucun récit programmatique ici. Ce qui compte, c’est l’euphorie de l’instant, la fuite en avant comme le permet la route. Et ce cinéma au présent.