NICE GIRLSDe passage à Paris pour son film sur Robert Mitchum, le photographe et réalisateur Bruce Weber, auteur de nombreux documentaires, et notamment du remarqué Let’s Get Lost sur Chet Baker (nommé aux Oscars du meilleur documentaire en 1988) nous reçoit, en présence de l’actrice Carrie Mitchum, la petite-fille du grand Bob, pour la sortie de ce documentaire, qui s’attache au monstre sacré pendant les dernières années de sa vie, Nice girls Don’t Stay for breakfast

Quelle est l’origine de ce documentaire sur Robert Mitchum ? Comment avez-vous pu l’approcher ? 

Bruce Weber : J’avais depuis un moment l’idée de faire des portraits d’acteurs, et Vanity Fair me propose alors de faire des prises de vue d’artistes connus pour être des « durs à cuire ». En évoquant le nom de Robert Mitchum, mes confrères me disaient : « Tu veux voir Mitchum ? Bonne chance ! » Quand je me suis approché de la maison de Bob, la première chose que j’ai vu est cette pancarte disant « Gone fishing » (« Parti a la pêche »), comme s’il voulait dissuader les curieux et les intrus. Quand j’ai poussé la porte et que j’ai croisé son regard, il a fait comme s’il n’était pas là, ou plutôt comme s’il n’était pas vraiment Robert Mitchum… J’étais intimidé comme un étudiant face à son professeur. Je me présente alors en lui expliquant que nous avons un ami photographe en commun, John Loengard, qui travaille à Life Magazine. Il me regarde alors, dubitatif : « Ah oui, et vous croyez vraiment tout ce qu’il dit ? »… A nouveau un ange passe, quand mon équipe installe son matériel. Et c’est alors que je réalise que ça ne va pas du tout : Bob était habillé comme le sont parfois les retraités, avec un jean très haut remonté sur le ventre, ce qui ne correspondait pas du tout à l’esprit de la séance photos. Je lui demande alors poliment s’il pourrait changer de pantalon, en me disant qu’il va me mettre à la porte à coups de pied dans le derrière. Après m’avoir dévisagé longuement, il s’exécute avec un sourire. Je pense qu’il a apprécié mon courage et ma franchise. La glace était rompue et c’est comme cela que tout a commencé. Pour tout vous dire, j’ai trouvé exactement « Bob » tel que j’avais espéré qu’il soit.

Quel genre d’homme était-il dans la vie ? Il apparaît souvent à l’écran comme un type costaud, blasé et taciturne, presque détaché des événements…

Carrie Mitchum : Son détachement dans la vie, et dans sa vie professionnelle en particulier, n’était pas feint, et il était réellement comme cela, c’était un vrai cool, mais dès qu’il s’agissait de sa famille et de ses amis, il se montrait toujours très attentionné et affectueux, mais absolument pas démonstratif, et il pouvait se sentir gêné si on le remerciait en retour. Pendant un tournage sur lequel j’étais présente, par exemple, il m’a, chaque matin au petit-déjeuner, fait apporter des roses blanches. 

Que ce soit avec sa famille, ou en public, il semble que Robert Mitchum faisait non seulement preuve de courage physique, mais aussi d’un véritable courage moral… 

Carrie Mitchum : Bob faisait passer avant toute chose la notion de loyauté et de fidélité à sa famille et à ses amis, que ce soit face aux studios de cinéma ou face aux exigences des médias, etc. Je me rappelle que mon grand-père avait vécu comme une véritable trahison un vol commis par une femme qui travaillait pour lui depuis des années. Il en fut extrêmement peiné et déçu. Ce n’était pas tellement une question d’argent, mais de confiance et de loyauté. Cela l’a vraiment perturbé et il ne s’en est jamais vraiment remis.

Comment s’est déroulé le tournage de votre film une fois que vous avez réussi à l’approcher ?

Bruce Weber : J’ai décidé de faire le film après cette première rencontre. J’allais régulièrement à Santa Barbara pour des séances de shootings de mannequins, et j’en profitais pour dire à Claudia Schiffer ou à Christy Turlington : « Allez donc apporter ce petit cadeau à Bob, ça lui fera plaisir ! », ce qui ne lui faisait en fait ni chaud ni froid, car il était habitué à être toujours au centre de l’attention. J’ai donc pris le taureau par les cornes, et je lui ai donné un rendez-vous précis au Beverly Hills Hotel, trois semaines plus tard. Il a accepté et on a ainsi pu tourner dès qu’il avait un moment de libre, sur une période de deux ans, en fonction de sa disponibilité et de l’argent dont je disposais. Une seule fois il a refusé, pour une prise dans sa piscine. Il était toujours très gentil et compréhensif avec moi, et j’ai alors progressivement éprouvé un sentiment de protection pour lui, par gratitude pour sa prévenance et pour le type bien qu’il était. Les choses ont évidemment changé à sa mort. C’est comme lorsque vous faites une photo de quelqu’un que vous aimez : vous avez d’autant plus envie qu’il apprécie cette photo et qu’il vous estime en retour. La mort a rompu cette relation particulière que j’avais patiemment construite avec Bob. Avec la mort de Dorothy, sa femme, mes sentiments ont encore évolué. J’avais fait d’autres tournages, un film sur mon chien, A Letter to True, etc., et ce qui m’a vraiment décidé à finir ce film, c’est qu’il me manquait.

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