gorgeIl faut dire le titre à haute et intelligible voix : Gorge coeur ventre . A quoi songe-t-on d’abord quand on prononce ces mots ? A des organes, à ce qui compose un être vivant ou alors à de simples morceaux de viande ? Avec ce premier long, Maud Alpi ne s’est pas rendue la tâche aisée : elle a voulu rentrer dans des abattoirs et filmer au jour le jour. Enregistrer avec la complicité de Jonathan Ricquebourg (le chef opérateur du dernier Albert Serra) la lente marche des bêtes dans le couloir de la mort, ce que l’on désigne comme « la zone sale », ce lieu funèbre qui mène de la Bouverie à la tuerie où sont dépecés les animaux avant d’être broyés. Tel est le projet de ce film qui ne ressemble à rien de connu jusqu’à maintenant, même chez Pasolini : proposer une véritable fiction animale. Seul peut être Martin Rosen avec The Plague Dogs  y était parvenu à la fin des années 70 mais il avait dû pour cela recourir aux artifices de l’animation et de la fantasmagorie. Maud Alpi inverse les catégories, troque les humains pour les bêtes. Si bien que les véritables protagonistes de Gorge coeur ventre , ce sont les animaux qui s’arrogent d’ailleurs tous les gros et très longs plans. Cadres d’une longueur inusitée sur la gueule des veaux qui avancent péniblement dans un labyrinthe où ils s’entassent les uns sur les autres. Ou ces agneaux que Maud Alpi filme comme si elle touchait leurs yeux. Par ce recours à des plans longs et à fleur de peau, la cinéaste nous offre une proximité inédite avec eux. Parmi ces bêtes, il y a un héros, il se nomme Boston, c’est le chien noir du bouvier. Boston erre dans ces abattoirs et regarde toute la journée, observe sans pouvoir agir. Cet animal domestiqué est le dernier lien de notre humanité avec ces bêtes que l’on voit disparaître les unes après les autres. Reste donc que le véritable animal du film, c’est ce jeune bouvier campé par le comédien amateur Virgile Hanrot, condamné à son tour à une logique destructrice et absurde. Comme on dirait habituellement d’une bête, on ne le comprend plus. Il est capable de tuer sans restriction et se plaindre ensuite de l’horreur des cris, des hurlements animaux. Et entre deux labeurs, deux égorgements, il court s’ébattre et jouer avec Boston dans une rivière isolée, semblable à un éden filmé par Alain Guiraudie. Tout entier du côté des bêtes, Gorge coeur ventre  est insoutenable. S’il n’était que cela, ce serait déjà largement suffisant. Mais Maud Alpi ne choisit pas de traiter son film à la manière classique d’un documentaire : aucun programme, aucune voix off, aucun discours, aucun dialogue ne viennent parasiter le filmage à fleur des bêtes. C’est l’autre vertu de ce film: ne jamais surélever la caméra au dessus d’un troupeau, se refuser à tout regard omniscient et donc moralisateur. Dans cet enfer orangé, pisseux, aux parois recouvertes de monstrueuses traces noires de sang séché, Maud Alpi traque les dernières traces d’humanité.