Sébastien Betbeder, avec son troisième long-métrage 2 automnes 3 hivers, refuse le printemps et l’été, et choisit de raconter des histoires d’amour et d’amitié.
On aurait du mal à imaginer une comédie romantique plus triste. Arman (l’hyper productif Vincent Macaigne) rencontre Amélie (Maud Wyler) alors qu’ils joggent dans le même parc parisien. Ils se plaisent, mais ne s’abordent qu’à peine. Quand Arman essaye de provoquer une nouvelle rencontre dans les mêmes conditions les week-ends suivants, revêtu d’un survêtement tout neuf, il se retrouve face à un parc dépeuplé d’Amélie. L’air de rien, cette ouverture trace un des motifs principaux de 2 automnes 3 hivers : la perte. Cette ouverture est aussi l’occasion pour le réalisateur, Sébastien Betbeder, de mettre en place son dispositif. Les comédiens du quatuor central (Arman et Amélie, auxquels s’ajoute le couple Benjamin-Katia) sont narrateurs tour à tour, en voix off ou seuls face caméra, des évènements montrés à l’écran. Ce dispositif, dont le potentiel comique rappelle par exemple les films de Sophie Letourneur, peut faire craindre au début du film à une mécanique expérimentale plaquée sur la narration (le cinéaste a fait les Beaux-Arts et le Fresnoy). Mais très vite cette désynchronisation des situations et du vécu des personnages s’avère beaucoup moins fanfaronne que cela. D’une part, le réalisateur profite de ces entretiens face caméra pour interroger la fonction des comédiens, auxquels il fait raconter les scènes « au présent », comme s’ils étaient en train de les vivre, alors même que l’image se superpose au récit. D’autre part, jusque dans les moments les plus intimes et les plus sentimentalement dignes de silence, ces interventions en off scindent les couples et les amis en entités distinctes. Lorsque Arman et Benjamin se retrouvent dans un bar pour consoler le premier, le second ne peut s’empêcher de dire sa gêne en voix off au moment où Arman lui agrippe l’épaule en signe de reconnaissance. La communion des âmes est illusoire. Cette solitude essentielle de l’individu donne lieu à une très belle scène, où les deux couples en vacances dans un chalet, après avoir gravi un mont enneigé, contemplent le paysage. Amélie, sans savoir pourquoi, éclate en sanglots, brisant un bonheur tacite et ouvrant un gouffre destiné à s’accentuer entre Arman et elle. La perte de l’autre se fait en sa présence.
L’incommunicabilité des personnages, chacun enfermé dans la bulle de sa voix off, est renforcée par une hétérogénéité des images, variant la pellicule (16 mm) et le numérique. La narration n’est pas unitaire, pas plus que la vie, et Sébastien Betbeder n’hésite d’ailleurs pas à citer, extraits à l’appui, à l’intérieur du film, des influences inconciliables à première vue (Eugène Green et Judd Apatow) qu’il s’agit de faire cohabiter comme les personnages doivent cohabiter entre eux. Le réalisateur s’appuie sur ces régimes d’images disparates pour évoquer la précarité économique, et plus largement la fragilité (morale autant que physique) d’une génération. À ce titre, l’interprétation de Vincent Macaigne est (comme toujours) très significative, lui dont plusieurs réalisateurs (Justine Triet et Guillaume Brac en tête) ont fait l’incarnation du trentenaire mal assuré. Mais, dans 2 automnes 3 hivers, c’est précisément cette vulnérabilité des personnages qui sert de point d’ancrage à toute rencontre. Arman et Amélie entament une relation parce que celui-ci frôle la mort et atterrit à l’hôpital. Hôpital dans lequel lui succède immédiatement Benjamin (Bastien Bouillon, parfait en ami délicat), rencontrant grâce à cela Katia (Audrey Bastien). La faiblesse engendre l’empathie, et, à travers elle, l’affection. Comme si l’individu, pour sortir du solipsisme et s’épanouir, devait baisser les armes malgré lui. En fait de comédie romantique, 2 automnes et 3 hivers se donne à voir comme une fable mélancolique, dont la morale pourrait être : la vie est un navire faisant naufrage, et des passagers duquel il faut prendre soin.